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considérations étrangères au service militaire, se rattachant à une œuvre sociale et patriotique qu’il désire diriger avec toute liberté d’action. » Quatre ans après, sa démission d’officier de l’armée territoriale, inspirée par les mêmes motifs, rompait d’une façon absolue les liens qui l’unissaient encore à l’armée. Ne pouvant à la fois suffire aux devoirs de l’une et de l’autre, sa vocation sociale l’emportait définitivement sur sa vocation militaire. Mais la guerre avait marqué sa vie d’un sceau ineffaçable, et il laissait dans l’armée une partie de son cœur.


L’œuvre « sociale et politique » à laquelle le comte Albert de Mun voulait se dévouer tout entier était celle des Cercles catholiques d’ouvriers. Déjà, pendant sa garnison à Clermont-Ferrand, il fréquentait le patronage fondé par la Conférence de Saint-Vincent de Paul, dont il n’avait pas oublié, quarante ans plus tard, les parties de jeu du dimanche avec les jeunes ouvriers et les joies goûtées parmi les familles pauvres du quartier populaire. Mais ce fut la captivité d’Albert de Mun, où il subit la double influence du livre d’Emile Keller sur les Principes de 1789 et des catholiques du Centre, qui détermina sa vocation et fixa son programme. La Commune fit le reste. Il ne fut pas moins frappé par la rigueur, à ses yeux excessive, de la répression que par les crimes de l’insurrection. Quels événements, quelles circonstances, quelles fautes, quelles aberrations avaient pu entraîner, sous les yeux d’un ennemi vainqueur, cette lutte fratricide ! Le terrible problème de la responsabilité des classes dirigeantes ou possédantes s’imposa à Albert de Mun. « Qu’avait fait cette société légale, depuis tant d’années qu’elle incarnait l’ordre public, pour donner au peuple une règle morale, pour éveiller et former sa conscience, pour apaiser par un effort de justice la plainte de ses souffrances ? » L’officier catholique n’était pas seul préoccupé de ces questions. Un grand esprit, plus philosophe encore que poète, Sully Prudhomme, en subissait au même moment l’obsession et l’angoisse. Il écrivait, le 1er juin 1871, à Mme Emile Amiel une lettre admirable, qui prenait les allures d’un examen de conscience : « La bourgeoisie et la classe supérieure, c’est-à-dire tout simplement plus riche et plus audacieuse, devraient