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lui révèle un ordre supérieur et comme une seconde vie où « l’esprit transformé se reporte vers les êtres et vers les lieux qu’il aime ; il les voit, il les suit, il vit avec eux. » Une sorte de magie s’empare de lui et le transporte dans un monde inconnu, éloigné, où une vie meilleure le ravit et l’exalte. Tout parle dans cette vie : « tout s’adresse à une fibre du cœur ; la feuille qui tremble a un chant plein de mélodie ; le ruisseau qui glisse dans l’herbe ou se roule dans les pierres a des sons variés à l’infini comme une simple causerie ; l’étoile qui scintille au ciel a un regard qui fascine, qui s’attache à votre œil, qui sonde le fond de votre cœur ; elle s’approche ou s’éloigne de vous comme si elle hésitait à vous dire tout ce qu’elle sait. » Troublé par ce dialogue, il sent que la rêverie est la sœur de la prière, et, quoique son âme soit loin de Dieu, il comprend la consolation infinie que les anachorètes peuvent trouver dans leur solitude en s’enivrant de la félicité céleste. Des souvenirs l’envahissent, tendres ou tristes ; il revoit son cher village de Lumigny, les belles prairies où il a appris à aimer, les sombres cyprès autour desquels les siens reposent. « Soudain une musique lointaine anime le silence de ces lieux. » Les étoiles qui brillent d’un éclat étrange lui parlent et l’appellent ; ce sont les âmes de ceux qu’il a perdus et, qui veillent sur lui. Elles prennent un corps et une figure, et, quand tout s’éteint et disparaît, et que la musique n’est plus qu’un murmure, une voix parle encore à son oreille, et un long baiser de paix et de bénédiction se pose sur son front. Il devine dans cet « ange consolateur » sa « sainte mère, » qu’il n’a pas connue, et il prolonge délicieusement son rêve sous un immense noyer dont les larges branches couvrent sa tente, parmi les Arabes endormis. Son imagination vagabonde est allée plus loin que sa foi. Certes, il est croyant et pratiquant : il a conservé fidèlement la mémoire de sa première communion ; mais le sens du catholicisme ne s’est pas encore éveillé en lui. Sa dévotion vient surtout du cœur ; sa charité, aussi.

Rentré en France en 1867, il tient garnison à Clermont-Ferrand, où, plein d’entrain et débordant d’une bonté généreuse, il secourt les familles malheureuses et soigne les malades « comme des amis tendrement aimés. » A son insu, la politique le guettait déjà. Il s’en fallut de peu qu’il ne se ralliât à l’Empire et qu’il ne fût admis dans la maison militaire de l’Empereur.