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si nous pouvions oublier le sacrifice sublime devant lequel Albert de Mun inclinait, il y a neuf ans, sa gratitude et son respect.

En m’associant à ce grand témoignage, je remplis certes un devoir de conscience, mais pourrais-je vous dissimuler qu’il y entre une part de précaution ? Je crains de n’être pas qualifié pour parler devant vous du grand orateur catholique, et mon audace a besoin de votre bienveillance. Tant de questions nous avaient si longtemps séparés et même opposés, M. de Mun et moi ! Mais un tel adversaire forçait l’estime par la noblesse de son caractère, et ceux-là étaient à plaindre qui ne subissaient pas la séduction de son talent. D’un parti à l’autre, d’un banc à l’autre, et, comme on disait au temps où les Français ne s’aimaient pas, de l’une à l’autre barricade, j’aimais dans Albert de Mun le Français de belle allure dont les débuts avaient inspiré à Gambetta, qui d’ailleurs le fit invalider, l’évocation de Montalembert. Le goût des problèmes sociaux nous était commun, et si le point de vue confessionnel nous divisait, nous étions rapprochés par la solution syndicaliste. Ainsi, j’entrai en rapports plus étroits avec M. de Mun. Sa conversation avait un charme inexprimable ; j’en avais souvent goûté les attraits jusqu’au jour où la gravité menaçante des événements m’en fit sentir la vigueur civique et la robuste clairvoyance. Ce gentilhomme avait conservé une âme de soldat. Il apporta par ses écrits au vote de la loi de trois ans un concours où, quoi qu’on en ait dit, il n’y eut jamais de conditions : la patrie, entre ceux qui l’aiment, a-t-elle donc besoin de marchandages ?

Ainsi, j’eus la fierté de devenir l’ami de M. de Mun. Il était Breton par sa mère, mais, par sa famille paternelle, et à remonter dans le cours des âges, il était de race pyrénéenne. Cette origine nous créait un voisinage. La terre béarnaise a produit deux rois, l’un qui le fut par droit de naissance, Henri IV, l’autre qui le fut par droit de conquête, Bernadotte, et deux ou trois maréchaux. La terre bigourdane avait besoin d’une revanche : elle l’a prise, puisque le grand vainqueur de la Grande guerre, le maréchal Foch, est né à Tarbes, à trois lieues du manoir familial des de Mun. Cette famille de Mun fut surtout militaire. Pendant des siècles, ses fils versèrent leur sang pour la France. L’un d’eux, appelé à devenir lieutenant-général de l’armée royale sous Louis XVIII, épousa, en 1772, une des filles