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pourvoit-elle à cette œuvre ? Mystère d’économie et de confiance. Chacune de nos maisons particulières s’est chargée du contrôle des écoles de son district. Ainsi, nous, à Antoura, nous envoyons, chaque trois mois, un lazariste en inspection dans le Kesrouan. En outre, nous avions pris à notre charge l’entretien des écoles dans une douzaine de villages avoisinants. Mais que voulez-vous ? malgré les traitements dérisoires dont se contentent ces pauvres maîtres, c’était pour notre Collège une charge trop lourde ; j’ai dû réduire à trois le nombre des écoles que nous soutenons de nos deniers. En vain, de tous côtés, des villages viennent nous supplier de leur créer des écoles de garçons et de filles. Que faire ? Les ressources nous manquent.

— Merci de tous ces détails, monsieur, il faut qu’on les connaisse chez nous ; je vais m’y employer sans retard…

Et comme je prenais congé de mon hôte, en lui donnant rendez-vous en France :

— Monsieur un tel, dit-il, sans me répondre directement, et en se tournant vers un de ses collègues, depuis combien de temps êtes-vous allé en France ?

— Depuis cinquante ans, monsieur le Supérieur.

— Vous entendez, monsieur Barrès, nous ne sommes pas assez nombreux pour prendre jamais de congé.

Eh ! j’entends, mais j’admire trop pour ne pas avoir pleine confiance. Je songe à l’anneau pastoral de Mgr Hoyeck, qui a glissé sous le flot et que nos marins, aussitôt, ont remplacé au doigt de Sa Béatitude. Un superbe symbole, un heureux présage ! Au pied de Tyr et de Byblos, sur le sable inaccessible le fonds de la mer syrienne, loin de toute piété, gisent les anneaux des grands prêtres d’Adonis et d’Astarté, et personne ne se préoccupe de les rétablir au doigt d’aucune hiérophante. Mais le saphir de France, où nos marins ont gravé leur signe, brille à la main du patriarche, et notre pensée la plus pure, héritière d’Athènes, de Rome et de Paris, s’inscrit, par les soins de nos maîtres, dans l’âme reconnaissante des enfants du Liban.

Liban, terre de souvenirs, et pleine de semences…


MAURICE BARRÈS.