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une enquête aux pays du levant.

s’occupe de médecine, et parcourt le pays en distribuant des médicaments gratuits : tous deux sont aimés et respectés par les Druses et môme par les Metualis. Mais ils ne peuvent espérer aucun fruit de leur séjour en Syrie… » Voilà des lignes bien glorieuses pour les Pères Jésuites, et qui confirment ce que nous disions plus haut de Marcelin Berthelot, admirant la série des efforts talonnants qu’ils surent imaginer, varier et continuer, jusqu’à ce qu’ils eussent trouvé la méthode civilisatrice la plus efficace.

Mes deux hôtes aiment Lamartine et se font la plus grande idée de son apparition au milieu de leurs pères. Cependant je ne tire d’eux aucun trait qui précise ou complète les images étincelantes que le voyant de génie nous a laissées de sa fastueuse chevauchée.

— Et Gérard de Nerval ? leur dis-je.

— Gérard de Nerval ?

Ils cherchent. Ce nom ne leur rappelle rien.

— Comment ! Rien ? Lui qui vous aimait tant ! Il s’est promené ici, il a séjourné à Bethménie. Il est passé à Antourah, à Ghazir. il allait dans la montagne en chantant :


Le matin n’est plus, le soir pas encore !
Pourtant de nos yeux l’éclair a pâli ;
Mais le soir vermeil ressemble à l’aurore,
Et la nuit plus tard amène l’oubli.


Vos pères l’ont vu passer, avec ses obsessions de démence et de poésie, traversant vos solitudes comme un animal blessé. Parfois, en plein midi, les esprits de la nuit l’attaquaient ; il se livrait aux souvenirs enfouis au plus profond de son âme, et, désireux de couronner un amour qu’il avait la conviction d’avoir ressenti dans une série de vies antérieures, il insistait pour épouser la belle Salama, fille d’un chef des Druses de votre Liban. Cher monsieur, n’est-il aucun moyen de retrouver l’itinéraire de Gérard et de connaître le nom, la figure, la famille, l’histoire, la descendance de celle qui, un jour, en signe de fiançailles, lui offrit une tulipe rouge ? Je voudrais voir l’arbre qu’ils plantèrent comme un signe de leur intimité et qui devait croître sans fin.

Le docteur et son frère m’ont promis qu’ils le rechercheraient.