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voyais à quelques cents mètres, mais séparé de nous par une profonde vallée, un drapeau, qui flottait à la brise, sans que je pusse apercevoir, voilés par les plis du terrain, les bâtiments qui le portent. C’est notre drapeau tricolore, hissé en mon honneur sur le collège d’Antoura, où les Lazaristes m’attendent. L’heure est venue que je prenne congé de Sa Béatitude, qui veut bien me remettre son portrait, en m’exprimant le désir de recevoir, accompagné d’une dédicace, celui du président Poincaré…

La guerre allait tout précipiter, tout compromettre, et finalement tout réaliser ! C’est à Paris que Mgr Hoyeck est venu chercher le portrait de Poincaré, et des témoignages décisifs ; c’est là que, bien des fois encore, chez Elle et chez moi, j’ai entendu Sa Béatitude, avec une véhémence admirable, plaider sa cause nationale, et qu’il me fut donné de m’associer, selon mes forces, à la délimitation du Liban, dont tout le monde ici m’avait tant parlé.


… Quelques minutes plus tard, j’étais à Antoura, le fameux collège des Lazaristes, le plus ancien de l’Orient (il fut ouvert en 1833), et celui qui abrite le plus grand nombres d’internes : trois cent soixante-dix-huit, au jour de ma visite. Ces enfants, par cette belle fin de journée, faisaient la haie sur la route, et dès qu’apparait notre voiture, la Marseillaise et les Vive la France ! éclatent.

Le supérieur, Monsieur Sarloutte, est de Longeville, près de Metz. Ancien officier et de race lorraine ! Je lui fais mon discours sur ce thème : « Originaire d’un territoire français, dont vous fûtes chassé par la force, vous avez acquis un territoire moral à la France. »

Et puis nous causons familièrement. Je sais chez qui j’ai l’honneur d’être. Dans une grande tradition française, chez les fils de saint Vincent de Paul, de Monsieur Vincent, qui est, auprès de Pascal, avec Jeanne d’Arc et saint Louis, une des grandeurs qui nous couvrent de gloire devant les peuples. « Toute nation porte à sa tête une couronne, » dit un poète mystique de l’Islam, et la France, plusieurs couronnes. Monsieur Vincent est l’une d’elles. Rien de plus français que ces Lazaristes, de leur vrai nom les Prêtres de la Mission, fondés pour la charité et l’apostolat. Leur mysticisme trouve immédiatement son emploi