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Bien avant l’heure du déjeuner, j’étais à Békerké. Le bel endroit ! Un palais, un couvent, un domaine champêtre, en proie à l’azur du ciel et du gouffre, au parfum de la mer et de la montagne, et tout rempli de prélats aux longues barbes, en robes éclatantes, qui agitent inépuisablement des problèmes d’administration et de politique. Et là, au milieu d’eux, un sage, à la fois évêque et pacha, un Nestor aussi, Sa Béatitude le Patriarche maronite d’Antioche, tout en courtoisie et en finesse, élevé à Rome, mais plein des passions et des raisons de son petit peuple oriental.

Quel curieux souverain ! Assisté d’une douzaine d’évêques, le successeur de saint Maron gouverne cinq cents prêtres séculiers, à qui le mariage est permis, dix-huit cents moines, et environ quatre cent mille maronites du Liban. Me voici en plein règne théocratique et aussi en pleine vie patriarcale. « Vous allez voir, m’a-t-on dit, l’hospitalité des temps primitifs. Chaque jour, Sa Béatitude accueille à sa table cinquante ou soixante personnes. » En attendant cette heure pittoresque, on me promène à travers cette ample maison.

Une suite de chambres, desservies par de longs couloirs clairs et larges, dont les fenêtres plongent sur l’horizon incomparable de la mer syrienne. Après que j’ai admiré, à la chapelle, une somptueuse chape offerte par Napoléon III, je demande à voir les archives.

J’aimerais manier quelques-unes de ces pièces fameuses, où la légende raconte que l’on peut déchiffrer les noms de Godefroy de Bouillon et de saint Louis. J’aurais tout au moins des chances d’y trouver les témoignages de la protection que François Ier, Louis XIV, Louis XVI, la Convention, Napoléon Ier et tous les chefs de l’État français jusqu’à nos jours, n’ont jamais cessé de donner aux Patriarches et à la nation maronite. Mais j’ai vite fait de me détourner de ces grandes curiosités, trop difficiles à satisfaire. La brise de mer, le parfum des montagnes, la lumière d’une matinée orientale inondent, submergent tout ce palais, par toutes ces fenêtres ouvertes sur l’immense paysage d’azur, et ne nous laissent pas nous perdre dans la poussière des archives. Je pense à cette bacchante d’Hendiyé. Naturellement je voudrais visiter le cachot où les sœurs Nassima et Rose gémissaient, tandis que la visionnaire, toute à son état lyrique, croyait recevoir les faveurs du ciel. Mais, pour débuter,