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par prudence et humilité, le grand empressement du peuple autour d’elle.

Mais déjà un autre rapport d’un sens tout opposé était arrivé à Rome…

Perdu au milieu de tant de contradictions, le Pape soumet le problème aux plus savants hommes de sa Cour ; et ceux-ci, d’un commun accord, décident qu’Hendiyé est possédée. De Rome, on notifie cette sentence au Patriarche maronite, et on lui ordonne d’imposer un nouveau confesseur à la voyante égarée.

Rien n’est fini pour autant, et tout recommence. Ce nouveau confesseur bientôt publie partout l’éblouissement où le met la sainteté de cette fille. En deux mois, pas le plus petit péché I

Alors s’organise le triomphe prodigieux d’Hendiyé. Le Patriarche, les évêques, les cheiks, l’émir druse gouverneur du Liban, tous sont pour elle. Sa Béatitude l’entoure de vénération. Le couvent de Békerké devient le plus riche de l’Orient. Rome elle-même oublie la condamnation d’autrefois. En août 1762, le pape Clément XIII accorde des indulgences plénières aux religieuses du Sacré-Cœur et à tous ceux qui viendront en pèlerinage à leur couvent de Békerké.

Derrière ces pages de chancellerie, derrière ces papiers moisis, où pourtant l’on distingue l’émerveillement des uns et la suspicion clairvoyante des autres, en face de la menteuse d’Orient, il faut se représenter l’enfièvrement de toute la nation maronite. Hendiyé, à cette minute de sa vie, est la reine du Liban.

Au bout de dix ans, commence le déclin. Pourquoi ? Comment s’usèrent ces prestiges ? Est-ce l’effet de la jalousie ? des cabales ? Son fol orgueil de confidente du ciel, orgueil d’abord innocent et touchant d’enfantillage, est-il devenu à la longue intolérable, inhumain, par la profonde dureté de ce cœur insatiable d’émotion ? Il y a pis. Ce despotisme royal de son âme s’est traduit en crime.

Dans le couvent d’Hendiyé, le feu du ciel était devenu infernal. Son frère, le premier, la dénonça. Quel intérêt, quelle passion purent décider ce frère obscur à se tourner contre sa sœur éclatante ? En août 1767, dans une brochure violente, il accuse la prêtresse Hendiyé de sortilège, il stigmatise son œuvre et sa personne. Une religieuse, Marie de Beït-Chabal, s’échappe du