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noms de sorcière et de possédée. J’écoutais humblement, en ne demandant à Dieu que la grâce de pouvoir souffrir en silence. »

Pauvre bacchante ! D’où venait cette dangereuse rumeur ? Des Jésuites, à qui étaient confiées la garde spirituelle et la discipline du Liban. Tant de bruit autour d’une pauvre fille les avait émus, et d’autant plus peut-être qu’ils lui reprochaient d’avoir dédaigné la vocation qu’ils avaient choisie pour elle. Et maintenant, loin de les attendrir, cette contagion de folie venait se briser contre le tour pratique, la rigueur scolastique et le sec bon sens des Pères. Comprenez leur premier souci, qui est d’encadrer et de discipliner ces naïfs chrétiens, prompts à tous les délires. Mais pour Hendiyé, quelle souffrance ! Quoi ! les Pères de la Compagnie de Jésus, si doctes, si versés dans les choses de l’Église ! « Ils ne peuvent pas se tromper, songe-t-elle avec angoisse. Je suis véritablement une possédée, puisqu’ils l’affirment si haut… Une cruelle incertitude s’empara de moi ; je priais, je pleurais, et j’en venais à douter de la réalité de mes visions. Seigneur, m’auriez-vous trompée ? »

Je passe sur les tribulations de la pauvre fille, en qui se reforment, enfin, grâce à d’heureuses apparitions, les forces de l’espérance. Autour d’elle, le conflit s’envenime entre les Pères de la Compagnie de Jésus et les Maronites. Nul qui méconnaisse dans cette visionnaire une flamme, mais est-elle apparue pour la perdition de sa race, et pour rallumer les torches éteintes au-dessus des abîmes d’Afaka ? Hendiyé devient un drapeau du Mont Liban, au point que le Pape est obligé d’intervenir. En avril 1754, son délégué, Mgr Desiderio, arrive de Rome, pour mener une enquête, et subit si fort le charme de l’étrange abbesse, au milieu de ses vingt-cinq religieuses, qu’il se range parmi ses partisans les plus décidés :

« Après un examen minutieux, écrit-il à Rome, j’ai trouvé que toutes les accusations portées contre la religieuse Hendiyé étaient fausses. Il n’est pas vrai qu’elle trône sur un siège alors que les prélats et les archevêques se prosternent devant elle et lui embrassent les mains ; il est faux que l’archevêque Germanos expose le sang de la religieuse sur l’autel, pour l’adoration du peuple, etc., etc… »

Sur ce rapport, le Saint-Père se félicite de voir l’affaire close, et se borne à conseiller à la mère Hendiyé qu’elle écarte un peu,