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perplexité. Je ne voulais à aucun prix porter le voile de la congrégation d’Antoura, et il m’était impossible de supporter les fatigues du voyage d’Alep, étant donné que j’étais très faible et, depuis plus de cinq mois, prise des fièvres. Un jour, dans un accès de fureur, la supérieure ordonna qu’on me mit à la porte. J’étais malade, et seule. Vers le soir, j’errais dans un pays que j’ignorais, sans savoir où diriger mes pas, lorsque je rencontrai le père Guinard, qui me conduisit dans une écurie du couvent d’Antoura et m’abandonna, en fermant la porte sur moi. J’étais terrifiée par la solitude et la nuit qui m’entouraient ; le père Vintori, accompagné d’une femme avec son fils, vint me trouver dans ma nouvelle prison, et me confia à cette femme, en lui recommandant de me loger chez elle et de me soigner. Puis il alla trouver Mgr Germanos, évêque du couvent de Hourache, et lui demanda de me recevoir. L’évêque refusa d’abord ; enfin, des religieuses grecques-melchites habitant alors son couvent, il accepta.de me prendre au milieu d’elles, malgré que la place manquât. »

Je continue de transcrire ces humbles textes, afin de me tenir au plus près de la réalité, mais qu’ils rendent mal le frémissement de cette pauvre fille, égarée et touchante, dans cette nature qui l’épouvante, et où elle ressent la présence divine !

« J’ai passé, dit-elle, un an au couvent de Hourache, dans une grande perplexité. L’espace manquait : la nuit, je devais coucher dans la chambre d’une des religieuses ; le jour, j’étais forcée d’errer, dans les vallées environnantes, portant ma fièvre et ma faiblesse, et redoutant les animaux sauvages qui grondaient dans la forêt. J’ai vécu ainsi plus de huit mois, sans avoir jamais l’occasion de causer avec Mgr Germanos, l’évêque du couvent. Ma seule consolation était le père Vintori qui, rarement, vu la distance, venait d’Antoura entendre ma confession et me réconforter de ses conseils… J’acceptais toutes ces souffrances, comme des grâces envoyées par Dieu, et je confondais ma douleur avec celle de mon Sauveur. J’ai vu plusieurs fois, avec les yeux de la chair, Jésus, mon ange gardien et la Vierge Marie, qui, par de douces paroles, me consolaient. »

Ces visions la confirmaient, par des ordres exprès, dans sa vocation de fonder une congrégation à la gloire du Sacré-Cœur. Des scènes romanesques se succèdent, où l’on voit cette chose toujours si belle : un esprit qui, du milieu des plus basses