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seulement qu’elle remplira sa mission, suivie d’une troupe de religieuses : « Je veux, lui disent ses voix, que cette congrégation, qui portera le nom de mon cœur, soit fondée d’abord à Kesrouan, pour devenir ensuite un ordre religieux. »

Pour commencer, elle entre comme novice chez les religieuses d’Antoura, dirigées par les Pères de la Compagnie de Jésus.

On aimerait avoir, à cette date, un portrait physique de cette fille de dix-huit ans. Du moins connaissons-nous son âme excessive, bondissante, à la fois mobile et tenace, toujours prête à s’épouvanter, et qui pourtant ne peut pas se détourner de sa voie royale, une âme violente qui transparaît sur le visage, imprime son rythme à tout le corps, éclate comme un chant, comme une danse, comme une flamme, et qui plaît si fort que les religieuses d’Antoura, d’abord assez indifférentes à cette nouvelle venue, au bout de huit jours, lui prodiguent tous les empressements et veulent la convaincre de porter le voile de leur congrégation. La jeune enthousiaste refusa obstinément. Cette invincible obstination, c’est une caractéristique d’Hendiyé. Alors, à bout de sollicitations, la supérieure du couvent la menace de l’attacher à un poteau et de la revêtir par force de la robe religieuse. N’a-t-on pas l’impression de se trouver dans une humanité puérile ? En même temps, c’est d’une poésie barbare, l’ardeur de ces religieuses à se conquérir bon gré mal gré cette compagne d’élite.

Hendiyé fait appel à son confesseur d’Alep, qui accourt ; et c’est une lutte entre ce père Vintori et le père Guinard, qui dirige le couvent d’Antoura. La jeune fille veut quitter les religieuses, qui lui rendent, dit-elle, la vie intolérable, par leurs persécutions, et s’aller réfugier au couvent de Hourache… Ses raisons, ses tribulations, nous pouvons les suivre dans le détail, grâce à la déposition, à la fois si naïve et si orgueilleuse, qu’elle fit dans la suite au légat du Pape, déposition où sa bonne foi me paraît évidente, mais non moins évident le bon sens supérieur du prélat romain.

« Quand le père directeur et la supérieure apprirent ma résolution de quitter leur maison pour aller vivre au couvent de Hourache, ils redoublèrent leur persécution et me firent savoir que j’avais à me faire religieuse à Antoura, ou bien à retourner à Alep. Cette alternative me jeta dans une grande