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respiration libre, auprès de la mer fraîchissante. Il y a là quelque chose qui incline à la tendresse. Dans ces oasis de verdure et de douce sensualité, qui s’avancent jusqu’au bord de la vague, le voyageur épuisé qui débouche, avec la rivière, de la noire montagne, sent des images tristes et douces, des regrets, des souvenirs de deuil et de chagrin, tout le fond de son âme, se mêler aux jouissances qu’il va recueillir. Ah ! que nous sommes faibles, pressés, menacés, se dit-il, car il revoit en frissonnant les bacchantes et les fuit. Il marie les attendrissements du rivage avec les ivresses farouches de l’intérieur. « Ce pays se prête aux larmes, » dit Renan. Ce n’est pas assez dire, car les bacchantes ne faisaient pas que pleurer. Par ces contrastes, c’est un pays de brisement pour les cœurs et d’exaltation.


VI. — LA RELIGIEUSE DU LIBAN

Les frissons du Liban courent le monde. Mais sur place, que survit-il de la race des bacchantes ?

Le vieux culte qui, jadis, attira ici tant de pèlerins, a-t-il été anéanti sous les ruines du temple ? Les dieux de Byblos ont-ils coulé au fond des âges, sans laisser de ride sur l’abîme ? Ces vives sources sont-elles aujourd’hui complètement desséchées ? La racine des sentiments et des mythes qui, durant des siècles, fleurirent auprès d’Afaka, a-t-elle été arrachée ? Qui le dira ? Pour moi, j’ai peine à croire que le christianisme ait transformé les Libanais jusqu’au fond de leur être, jusqu’au sanctuaire intérieur où naissent les songeries. Les cavernes de Sayyidet el-Mantara et de Maghdousché sont bien devenues des chapelles de la Vierge ; — Dieu ! que ces lieux sont lourds et tristes, avec les signes religieux qui les marquent ! — mais elles laissent encore voir les entailles qui servaient à fixer les lits des prostitutions sacrées. Cette confusion du sensuel et du religieux subsisterait-elle dans les âmes, tout à l’extrémité de l’être qui veut s’épurer et qui craint en même temps de se dessécher ? L’astre céleste, qui les attire et les élève, remuerait-il encore leurs pires profondeurs ?

Dans mes courses à travers le Liban, on m’a montré les couvents de la religieuse Hendiyé Aajami, et raconté son histoire, qui troubla si profondément, au XVIIIe siècle, la nation maronite. Simple aventure, dira-t-on, d’une âme située aux