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des grands esprits, Mais de vrais poèmes, qui ne soient pas des divagations, mais des actes raisonnables, conformes à l’ordre et vraiment féconds ! L’expérience, laissée à son impulsion unique, ne produirait que l’absurde : il faut la régler. C’est l’immense service que l’Église rend à l’humanité, quand elle surveille, modère et canalise l’enthousiasme mystique, quand elle l’entretient et tout ensemble l’apaise, par ses rites stimulants et paisibles, par ses sacrements. Et c’est ainsi que, de leur côté, les poètes soumettent aux heureuses contraintes du rythme et de la rime une inspiration qui, libre de tout contrôle, ne serait que du vent.

Je ne regrette donc pas mon pèlerinage et d’être venu de si loin mettre mes pas dans les pas des bacchantes. Poètes, elles sont vos sœurs forcenées ; âmes chrétiennes, donnez une pensée tendre à ces vierges folles ! Pour moi, les émotions de cette nuit rejoignent sans effort celles que j’éprouvai, un jour, de passage dans la ville sainte d’Avila. L’ivresse qui jadis commandait les bacchantes, nous la retrouvons dans le tambourin de Thérèse. Le mysticisme catholique de Thérèse nous a donné des poèmes admirables et la réforme héroïque du Carmel. Mais, à San José d’Avila, j’ai vu le tambourin que la sainte castillane saisissait, aux heures de sa plus joyeuse ferveur, pour s’élancer de sa cellule et danser au milieu de ses filles, qui l’accompagnaient de leurs castagnettes et du claquement de leurs doigts, jusqu’à ce qu’elle improvisât et chantât des strophes lyriques. Le petit tambourin suspendu dans l’église de San José fait un écho infiniment grêle au tapage des bacchantes.

… C’est bien un attrait proprement religieux qui m’a conduit dans cette gorge sinistre du fleuve Adonis, c’est bien une leçon religieuse que j’emporte du temple d’Afaka : le respect des violentes poussées de l’Esprit, et, en même temps, l’amour de la vieille Église qui, sans étouffer cet élan vital, a su le régler.


Au milieu de la nuit, l’orage devenu épouvantable mit fin à ces méditations. De vraies bacchanales s’étaient déchaînées dans le ciel, et ma tente, après avoir longtemps chancelé, finit par s’abattre sur moi, comme pour me livrer aux puissances offensées dont j’analysais les mystères… Nul dommage pourtant, et j’en ai tiré, comme on voit, mes papiers et mon crayon.