Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 14.djvu/25

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
27
une enquête aux pays du levant.

La fête du soir fut féerique, et d’autant plus étonnante pour moi que, demi mort de fatigue, je la voyais du fond d’un rêve. Nous étions assis sur l’une des terrasses que forment ici les toits des maisons. Toute la ville, construite sur une pente assez rapide, montait au-dessus de nous vers les cimes, descendait au-dessous de nous vers l’abime, et se noyait en haut et en bas au milieu des ténèbres, qu’elle illuminait par la multitude de ses torches et de ses lanternes vénitiennes. Tout Deïr-el-Kamar étincelait de feux et bourdonnait de chants. Le flanc de la montagne, jusqu’au fond de la vallée, réverbérait, répercutait cette double magie. Les femmes en bleu, sur certaines terrasses, semblaient des statues drapées. Sur d’autres terrasses, les hommes tiraient, tous à la fois, dix, douze feux d’artifice. Cependant les religieuses chantaient au milieu des flammes de bengale. Les enfants sur la place couraient après les baguettes des artifices retombés. Les fusées sillonnaient la nuit. Les coups de fusil, les chants, les cantiques, les bannières, les feux, les discours, plusieurs civilisations, s’entrecroisaient de la terre au ciel, et j’éprouvais sur mon toit un demi-vertige enchanté. Les raisons du spectacle m’émouvaient autant que sa splendeur. Si Deïr-el-Kamar est tout en flammes et en cantiques, c’est qu’il existe dans le cœur de cette bourgade et de tout ce Liban, comme je le vois depuis ce matin, un sentiment de feu pour la France. Mes hôtes s’épuisent à chercher à le manifester. Dans le tapage, j’entends un récit qui m’enchante : comme il y a une dissidence entre deux familles, on ne voulait pas tirer des coups de fusil, de crainte de malheur, mais les représentants des autres villages sont venus et ont dit qu’une fête sans coups de fusil, c’est triste ! Alors on lire, tant et si bien qu’une balle enlève l’oreille du cawas qui accompagne Picot. Et tous de répéter avec satisfaction : « Il n’y a pas d’exemple d’une grande manifestation sans accident ! »

La longue course et la chaleur m’avaient un peu surmené. On s’est inquiété de me trouver le meilleur lieu de repos, et le docteur Tueny, un Maronite, élève de notre Faculté de Beyrouth, a bien voulu me réserver sa très gracieuse hospitalité.

Ainsi protégé, assuré des meilleurs soins, je me laisse aller aux fantaisies d’une fièvre légère. Par les fenêtres sans volets, mon regard poursuivait dans le ciel, au milieu des nuages nocturnes, le bel astre à la marche glissante. Deïr-el-Kamar signifie