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souvent étouffée et presque atrophiée. La foule elle-même en est capable, comme nous le voyons dans le cas des bacchantes. Les bacchantes n’étaient pas des personnes extraordinaires, mais certaines circonstances, le jeu de certains rites, la hantise de certaines traditions et le mimétisme des foules leur ont communiqué soudain une intensité d’enthousiasme qui, dans ce cadre sauvage et parmi tout ce fracas, devait facilement délirer. Natures ignorantes, vulgaires et brutales, la visite du dieu les a consumées.

Ainsi la clarté se fait. Peu à peu, ce cortège bouffon, odieux, sanglant, se dépouille de son absurdité et de son horreur. Les choses se simplifient. Je ne vois plus que la petite flamme qui a mis en branle cette mystique aventure, et que tant d’excitations artificielles ont poussée jusqu’à la folie.

Le chemin de cette solitude fut trouvé par des voyants, qui étaient en même temps des sages : frères de celui qui vit le Buisson ardent, frères de celui à qui son démon apprit à mourir, frères de Descartes qui eut aussi ses visions, frères de Pascal qui vit l’abime et le globe de feu, frères de tous les mystiques. Ces bacchantes, des mystiques dévoyées, mais enfin des mystiques. Ces délirants, ces délirantes, ces hurleurs de la montagne, portent au centre de leur fureur, au centre de leur être affolé, une flamme spirituelle toute pure et qui, d’elle-même, tendrait continuellement à épurer l’ivresse qu’elle a suscitée. Aujourd’hui encore, la flamme mystique, sans laquelle il n’est ni religion, ni art, ni science, ni aucune minute héroïque, porte en elle une force terrible d’expansion qui, en l’amplifiant sans mesure, menace de l’éteindre. Mais si malsaine qu’elle puisse devenir, elle reste en son fond bienfaisante, ennoblissante. Pour être pleinement homme, il faut l’avoir éprouvée : il faut en avoir été possédé.

Et quand, une fois, a jailli ce phénomène, nommez-le comme vous voudrez, qui nous fait entrer en relations avec une réalité, un être, une présence, une chose invisible, insaisissable, intraduisible et différente de nous, — une réalité, puisqu’elle agit ; une présence, puisqu’elle nous pénètre et nous fait vibrer, — quand il y a eu en nous cet accroissement de chaleur et que nous avons pris ce contact, fût-ce pour une seconde, nous rendre compte à nous-mêmes de cette rencontre, et la traduire, soit par des actes, soit par des poèmes, c’est le désir héroïque