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sagesses, ne m’avanceront-ils pas plus avant dans la connaissance ? Je vais dormir sur ce cœur du Liban. Cette nuit ne m’en donnera-t-elle pas le secret ?

Une tempête de vent avait commencé de s’élever. J’écoutais l’orage rouler dans les montagnes assombries par le crépuscule. Le soir tomba peu à peu, et tandis que les voix des chevriers arabes, qui se hélaient, retentissaient dans le ciel, au-dessus du cirque, nous dinâmes des offrandes de l’évêque : des perdrix rôties, du vin et diverses sortes de fromage caillé, dont un pour manger avec le miel.

Cependant la pluie, bientôt, nous obligea à rentrer chacun sous notre tente…


L’idée religieuse d’Afaka, comment la saisir ? Il faut pourtant que j’y parvienne. C’est tout le but de mon expédition. Je ne suis pas un sportif. Et, par exemple, je ne perdrais pas mon temps à parcourir les sentiers des Alpes ; je n’irais pas coucher sous les nuages des vallées du Mont-Blanc. Je suis ici à cause du temple et des sources sacrées. Et dans la tempête qui fait rage, je guette l’écho insensé des hurleuses.

Les femmes ici devenaient bacchantes, et leur beauté se dégradait aux buissons ensanglantés… S’en tenir à dépeindre leurs sarabandes, ces éternelles processions de flagellantes, ce n’est pas sérieux. Il saute aux yeux qu’on n’a pas épuisé ces horribles fêtes, en se tenant à leur aspect tragique et ignoble. C’est s’arrêter à la surface. À l’origine de ces brutalités et de ces grandeurs, il y a un principe religieux. Principe très simple, petite source toujours la même. Non, l’expérience des siècles ne permet pas de maudire ou de railler en bloc les extrêmes poussées des frénésies saintes. Cette expérience nous conseille bien plutôt de chercher à dégager la cellule initiale, respectable, paisible, divine, où tout se ramène, c’est-à-dire ce besoin passionné d’entrer en contact avec l’invisible, besoin qui lui-même suppose au plus profond de l’âme une faculté et des antennes.

Entre l’invisible et nous, il y a une correspondance secrète, cachée et comme dominante, qui, à la rencontre soudaine de son objet, se réveille en un instant et paraît à l’imprévu. Telle une étincelle, qui sort entre les cendres et qui met le feu à tout l’être.

Cette puissance existe chez tous en principe, quoique le plus