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« La pauvre cabane maronite, » comme Renan l’appelait, est démolie depuis douze ans, et sur son emplacement s’élève une grande bâtisse, mais sa terrasse a gardé sa treille de roses, ses abricotiers, et sa vue incomparable de jeunesse, d’allégresse, de fraîcheur sur le rivage et sur la mer.

« Ghazir est sans contredit l’un des endroits les plus beaux du monde ; les vallées voisines sont d’une verdure délicieuse, et la pente d’Aramoun, un peu plus haut, est le plus charmant paysage que j’aie vu dans le Liban… Nous y trouvâmes une petite maison, avec une jolie treille. Là nous prîmes quelques jours d’un bien doux repos… Au sein du plus profond repos qu’il soit possible de concevoir, j’écrivis, avec l’Evangile et Josèphe, une Vie de Jésus, que je poussai à Ghazir jusqu’au dernier voyage de Jésus à Jérusalem. Heures délicieuses et trop vite évanouies, oh ! puisse l’éternité vous ressembler ! Du matin au soir, j’étais comme ivre de la pensée qui se déroulait devant moi. Je m’endormais avec elle, et le premier rayon du soleil paraissant derrière la montagne me la rendait plus claire et plus vive que la veille… Le soir, nous nous promenions sur notre terrasse, à la clarté des étoiles ; ma sœur me faisait ses réflexions, pleines de tact et de profondeur, dont plusieurs ont été pour moi de vraies révélations… Elle me dit plusieurs fois que ces jours étaient son paradis. Un sentiment de douce tristesse s’y mêlait. Ses douleurs n’étaient qu’assoupies, elles se réveillaient par moments comme un avertissement fatal… »

Pages harmonieuses dont le sentiment semble avoir débordé sur tout le récit de la Mission de Phénicie.

« Dans le Liban, le charme infini de la nature conduit sans cesse à la pensée de la mort, conçue non comme cruelle, mais comme une sorte d’attrait dangereux où l’on se laisse aller et où l’on s’endort. Les émotions religieuses y flottent ainsi entre la volupté, le sommeil et les larmes. Encore aujourd’hui, les hymnes syriaques que j’ai entendu chanter en l’honneur de la Vierge sont une sorte de soupir larmoyant, un sanglot étrange. Ce dernier culte est très profond chez les races du Liban, et forment le grand obstacle aux efforts des missionnaires protestants chez ces peuples. Ils cèdent sur tous les points ; mais quand il s’agit de renoncer au culte de la Vierge, un lien plus fort qu’eux les retient. »

Tout occupé à confronter mes souvenirs de ces beaux textes