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archaïque et surannée une façon d’écrire exactement française, que M. Thérive propose de tuer le langage français : il ne ferait que l’achever, le croyant mort plus qu’à demi. Cependant, il le dit, avec une fine justesse « le parler de Montesquieu est plus près de nous que celui des Goncourt ou celui de Mallarmé prosateur. » Mallarmé fut un délicieux écrivain, dont les torts ne se comptent pas ; et les Goncourt ont écrit le jargon le pire. Si Montesquieu est « plus près de nous » que ces Goncourt et Mallarmé, n’est-ce pas qu’il y a un langage français qui dure, qui n’est point affaire de mode et momentanée ? Ce français-là, qui dure, en tâchant de l’écrire, se réfugie-t-on dans le passé ? M. Thérive ne le croit pas. Mais il déclare : « Morte j’appelle, une langue qui dans ses bons écrivains ne change pas notablement en trois, quatre ou cinq siècles. » Il ajoute : « C’est, on le voit, une langue qui se porte gaillardement ! » Pourquoi donc l’appelle-t-il morte ? Je l’appelle vivante et bien vivante. Il l’appelle morte, parce qu’elle n’évolue guère ? Il sait, il l’a dit, que la philosophie de l’évolution est toute pleine de fariboles.

M. Thérive écrit : « Sous les remous divers qu’agitent à la surface du français des courants artificiels, coule un fleuve plus calme et profond, assez lent, celui du style classique. » Style classique, ou permanent, le français : pourquoi le traiter d’archaïque ?

Ce langage serait archaïque, à demi mort, ou mort, si l’on ne le parlait plus : mais, pour dire qu’on ne le parle plus, il ne suffit pas de mettre au musée les écrivains qui en gardent le bon usage. Si on ne l’entendait plus : mais vous consentez que Montesquieu vous est plus intelligible, tout seul, que les deux Goncourt. Si l’on ne pouvait, en ce bon langage, exprimer toutes les idées, voire les plus neuves et, comme on dit, les plus modernes : prouvez-le. Et prouvez qu’il est indispensable de recourir à un galimatias dérisoire pour mériter les honneurs de la mode.

Je préfère m’en tenir à ce que dit M. Thérive, quand il est sage : « Tout écrivain qui se met hors les lois du style traditionnel devrait être, en dépit de tous les scepticismes et de tous les snobismes, au ban de sa corporation. » Et encore : « La littérature est le seul divertissement où l’on ne disqualifie pas les mauvais joueurs. Il est vrai que c’est aussi le seul où l’on puisse jouer sans arbitre, ni partenaire, ni spectateur… » Pour le plaisir !

André Beaunier.