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Quel avenir peut-on lui promettre ? Je n’en sais rien ; je ne sais rien prévoir d’aussi loin que le fait sans barguigner M. Thérive. Je soupçonne M. Thérive d’avoir gagné auprès de ses amis les linguistes, — il les taquine, mais il les a beaucoup pratiqués ; il a pour eux une amitié inquiète, une amitié pourtant, — cette vivacité de prévision qui le mène au delà des siècles si promptement. Notre langage est, pour la France, une partie de sa fortune ; et il dépend du reste. Aura-t-il, en Europe et dans le monde, la prépondérance ; ou l’anglais sera-t-il la langue la plus généralement répandue ? Cela dépend de circonstances qui ne sont pas toutes littéraires, mais politiques et commerciales. En tout cas, ce n’est point au lendemain d’une victoire qu’il sied de fuir la concurrence ni de montrer cette abnégation des vaincus en train de sauver ce qu’ils peuvent.

Le français réduit à l’état du latin d’Érasme ou de Descartes ? Mais l’Empire romain s’était écroulé. Ce n’est pas du tout le cas de la France. Le latin survivait : le français vit.

Et le latin, qui a survécu, est mort. M. Thérive promet au français, qu’il aurait tué, une survie beaucoup plus longue, « dix fois plus longue. » Mauvais marché ! Vivons d’abord.

Voici, je crois, le point où M. Thérive a premièrement dévié du bon chemin qu’il avait pris ; et il a suivi son erreur avec la constance d’un logicien qui s’est trompé. Il a noté que la plupart des écrivains contemporains écrivent mal et sont les inventeurs de leur « cacographie. » Un petit nombre d’écrivains, qui n’ont peut-être aucun génie d’ailleurs, ne donnent pas dans ce godant de la mode nouvelle. Ces écrivains tâchent d’écrire selon l’usage que méprisent ou ignorent les novateurs et improvisateurs de ce temps-ci. M. Thérive les approuve ; mais il les appelle « archaïsants. » Ce n’est pas un bien joli mot. « Je me permets, dit-il, de les appeler archaïsants ; je me permets aussi de déclarer que ce terme ne contient rien de péjoratif… » Sans doute ! Mais, péjoratif ou non, ce terme a l’inconvénient de reléguer dans le passé une façon d’écrire à la française. En un mot, par le seul fait de ce mot, toute une question se trouve résolue, la question de savoir si l’avenir appartient aux bons ou aux mauvais écrivains. M. Thérive le donne aux mauvais écrivains, quand il a furtivement reconduit à leurs siècles dix-septième ou dix-huitième les bons écrivains. C’est trop d’obligeance désespérée pour les « cacographes » qu’il n’estime pas.

Désespérée ! Il y a là du désespoir, en effet, le signe d’un affreux pessimisme. Et c’est à cause de ce pessimisme, pour avoir cru