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mais qu’ils auraient pu vouloir qui fût meilleure. L’influence d’un Jules Lemaître a été fort heureuse. Eh bien ! ce ne sont pas là des aventures qu’il faille comparer à des révolutions célestes.

Le langage est l’œuvre des écrivains. Le langage sera tel que l’auront voulu les écrivains. Et l’on dira que ce n’est pas du tout rassurant : je l’avoue. Du moins sommes-nous en présence d’une besogne humaine. Qu’arrivera-t-il ?

M. Thérive admet trois éventualités, conformes aux prévisions du pessimisme, de l’optimisme et, troisièmement, de la sagesse. Bonne idée, de séparer la sagesse et de la placer ailleurs que dans le désespoir ou la vive confiance. Le pessimiste s’attend que la langue parlée aille à des folies, que la langue écrite ne la suive pas et, abandonnée, disparaisse ou devienne l’on ne sait quoi, mais enfin se transforme éperdument. L’optimiste a l’entrain de croire que les bons écrivains s’établiront fervents réactionnaires et mèneront à bien leur tâche excellente. Troisième éventualité : « La sagesse consisterait à espérer d’autant plus de succès de cette réaction que l’évolution paraîtrait plus certaine et plus irrémédiable ; c’est, si l’on veut, de croire que le français littéraire est destiné à devenir langue morte, — et qu’une langue morte, c’est ce qui vit immortellement. » Holà !

Je dis, holà, pour marquer ma surprise et quelque déplaisir. Ces trois ou quatre lignes m’ont ébaubi d’abord ; et cette éventualité du français qui tombe à n’être qu’une langue morte a quelque chose de désobligeant. M. Thérive l’accepte volontiers ; et il la préconise. M. Thérive se défendait de l’optimisme, dont il n’avait rien à craindre. Il se défend d’être pessimiste et vous annonce, avec une tranquillité qu’il appelle sagesse, la mort du français ou la mort de notre langue littéraire. Il va, comme on dit, un peu fort !

Est-ce qu’il n’aurait point dépassé, dans les mots, son intention ? sa terrible petite phrase ne l’aurait-elle point mené, comme il arrive, au delà de son idée, par cet amusement de vivacité que vous donne parfois le jeu alerte des mots ? Non : il avait médité son idée. Il l’a inscrite à la première page du volume, en titre : le Français langue morte ? Et il ôte le point d’interrogation du titre, voilà tout.

Et voici, le long du livre, le commentaire d’une formule si alarmante. Il vous demande si vous ne vous habitueriez pas au projet de parler et d’écrire le français « à la façon d’une langue morte ; » le français serait désormais « le truchement supérieur des idées, mais rien de plus, comme le latin pour Érasme, pour Descartes. » Vous entendez que lui, sans peine, s’y habituerait. Et il vous dit : « La tra-