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prouve que cette manie des mots fabriqués à la diable corrompt, de nos jours, un bon langage.

Il a raison de signaler aussi le tort que fait à notre langue l’invasion des mots étrangers, surtout anglais. Il note que le XVIIe siècle « n’admettait pas cinq mots étrangers dans notre lexique. » Mais nous aimons tant les Anglais, à présent ? Nous les aimions déjà au XVIIIe siècle, que nos philosophes admiraient tant le libéralisme d’outre-Manche et le régime parlementaire, pour ne l’avoir point essayé : or, « comptez les anglicismes de Voltaire, ou plutôt lisez-le et voyez chez lui le ponche, le spline, les tostes, orthographiés de si aimable façon. » Aux époques où notre langue eut toute sa fierté, sa vitalité, elle n’accueillait qu’un très petit nombre de mots étrangers ; et elle les invitait à ne point garder chez nous l’air de chez eux, mais à se plier à notre usage. M. Thérive nous supplie de prendre les engagements que voici : « 1o Je m’engage à préférer dans mes écrits et à exiger des imprimeurs une orthographe francisée pour tous les mots courants ou nécessaires d’origine étrangère… » Nous écrirons un ponche, un toste et le spline : bien. « 2o Je m’engage à préférer un mot français à son concurrent étranger, dans les cas où le remplacement est possible… » Bien !… Conformément à son premier vœu, M. Thérive écrit : « Aucune langue n’a un beau pédigré. » Mais il oublie son second vœu, qui l’obligeait à écrire : aucune langue n’a une origine, ou une histoire, ou une généalogie parfaitement pure et flatteuse. À moins qu’il n’ait voulu comparer une langue à un cheval ! Le fallait-il absolument ?

On m’accusera de « misonéisme » et de « xénophobie : » ce n’est rien. On me priera de considérer que notre langage n’est pas plus qu’un autre né du néant, qu’il n’est pas le produit d’une génération (comme on dit) spontanée, qu’il dérive du latin d’abord et, subsidiairement, de divers langages et qu’on y remarque des mots qui viennent de tous les coins du monde, qu’il s’est nourri de toute sorte d’aliments, qu’il s’est laissé gaver de farce antique par les savants de la Renaissance, éduquer drôlement par les précieux et les précieuses du grand siècle et corriger par les grammairiens. Et maintenant, on n’oserait plus y toucher ?

Il y a plusieurs années, une coterie de philologues et de politiciens, quelques-uns réunissant les deux qualités, entreprenait de réformer l’orthographe. On leur disait : n’en faites rien ; ne dénaturez pas les mots français. Ils répondaient : l’orthographe s’est tout le temps modifiée ; nous allons la modifier à notre guise. Marcelin