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Il parle sur la plus haute pointe de sa voix. Et ses mains secouent sans merci le papier qu’elles tiennent, comme pour vanner son discours et séparer le bon grain d’avec la paille.

Ce qu’il dit est d’ailleurs excellent, surtout quand il s’abstient des métaphores, qu’il faut laisser aux écrivains charnels. Qu’entend-il par une « précieuse proximité d’aspirations ? » Et à y regarder de trop près, est-il bien sûr de parler purement, quand il parle d’un « travail qui donne une impression d’entrain, » ou d’une « lutte qui s’inaugure ? » Ce discours, que M. Goyau appelle sa première tâche, est soigné pourtant. Il commence par un très joli tableau du rôle que les Cochin ont joué dans la bourgeoisie parisienne ; et venant à celui dont il parle, il ne s’interdit pas d’en parler en concetti : « Il aimait la science et la beauté, la philosophie et la bonté. Sans heurts ni satiété, il passait d’une chasse à l’autre, chasse aux microbes dans les laboratoires et chasse à courre dans une forêt, chasse aux idées dans son cabinet, et chasse aux tableaux chez les marchands. » Mais laissons ces bagatelles et venons au sérieux du sujet.

C’est un art bien difficile que celui de tracer un portrait. Au premier abord, on pourrait croire que la ressemblance de M. Denys Cochin se laisserait saisir. Ce robuste aspect de veneur, ce goût des arts affiné par une longue hérédité, cette droite et nette philosophie cartésienne, cette politique généreuse, ce sont là des traits assez définis. Quand on cherche le secret de leur assemblage, on rencontre le mystère qui est dans toutes les âmes humaines et surtout dans les grandes âmes. Il semble que M. Goyau nous ait montré le modèle en variant l’éclairage, et qu’il nous ait laissé le soin de réunir en une seule image ces aspects successifs. Il nous a ainsi fait voir le savant, puis le philosophe, puis l’homme politique. Chacun de ces croquis est tracé avec beaucoup d’art et de goût. Telle silhouette de Denys Cochin à la tribune est d’un dessin plein de finesse. Sans doute, il est difficile, en traçant ces crayons, de ne pas faire çà et là une faute de proportion, M. Goyau nous montre les philosophes hésitant entre la matière et l’idée, et doutant tour à tour et parfois tout ensemble de leurs sens et de leur pensée. Il ajoute : « Mais Denys Cochin les rassurait, les réconfortait... » Denys Cochin lui-même eût trouvé qu’on lui assignait là un rôle bien lourd. On est étonné de trouver par endroits, dans le panégyrique de M. Goyau, ces formules plus propres à l’éloquence qu’à l’histoire : « Dans Patras, dans Athènes, une foule immense entoura Denys Cochin, et ne songeait plus à aller dormir, parce que Denys Cochin était là. » Il est vrai que l’historien