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Un dessin, paru en 1912, dans la Revue de l’Art ancien et moderne, mettait en évidence ces constatations. C’était un décalque, à l’échelle du portrait de Lucrezia, sur lequel les paupières baissées de la Madone de la National Gallery complétaient l’identité des deux visages.

Il apparait certain qu’Ambrogio da Prodi, voulant conquérir les bonnes grâces de la favorite, ou obéir à Ludovic, aura suivi les errements du peintre de Cecilia Gallerani en Madone, et qu’il aura modifié le type vincien, sans offusquer les moines habitués à ces sacrilèges galants. — L’exécution matérielle de la Vierge aux rochers, est d’ailleurs identique à celle des deux Anges qui l’accompagnent, sa conservation est la même, comme d’un ouvrage de la même main. Voilà pourquoi, — malgré les affirmations du nouveau catalogue de la National Gallery, — l’original de Léonard n’est pas dans la Vierge aux rochers de Londres, mais dans la Vierge à la source de notre Musée.

La légende de la Joconde est trop répandue pour qu’on puisse espérer lui substituer une vérité plus belle. Mais ceux qui aiment à comprendre une œuvre d’art, selon la formule du Vinci, « plus on connaît, plus on aime, » nous sauront gré d’avoir dégagé ce chef-d’œuvre des racontars de ces romanciers de boudoir qui ont rabaissé toutes les grandes œuvres à des histoires de femmes. La Joconde n’est pas plus un portrait que la Béatrice de Dante ; elle est une conception de la Beauté, comme la Vierge à la source est une conception religieuse, issue de la même veine et produite par les mêmes moyens. L’unité de l’œuvre du Vinci s’affirme ainsi davantage, dans l’évolution d’un même type qui s’enrichit de vie et de science à la fois, jusqu’à dépasser les limites de la peinture.


André-Charles COPPIER.