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C’est que Léonard avait fait du chemin. Sans être titulaire des fonctions de peintre ducal, il avait déjà fait ses preuves en peignant divers portraits, notamment celui de Cecilia Gallerani, la maîtresse du More, puis cette Vierge à la source, qui annonce un style inconnu, avec l’apparition du clair-obscur, cette grande révolution dans l’art de peindre. Il avait même commencé l’ébauche du Colosse, cette statue équestre du condottiere Francesco Sforza détruite par les arbalétriers de Louis XII, lors de la prise du château de Milan. La jeune Béatrice d’Este, que le More avait épousée récemment, protégeait Léonard, moins par intuition artistique, que par ce besoin de jeune femme jalouse et volontaire qui veut renouveler le personnel de la Cour, trop dévoué aux maîtresses de son époux, dont le règne continuait en marge de ses prérogatives.

Je crois que Rio et Milanesi se sont trompés en attribuant au Vinci une Madone qu’il aurait peinte sous les traits de Cecilia Gallerani, au début de sa liaison avec le More et qui porta longtemps sur le listel du cadre ces deux vers significatifs :


Per Cecilia, qual te orna, lauda e adora
El tuo unico figliolo, o beata Vergine, exora.


Tout l’œuvre de Léonard proteste contre cette adaptation d’un portrait à la figure de la Vierge. Tout au plus pourrait-on rattacher cette œuvre, ainsi décrite, à la Madonna della casa Litta, dont le type n’est pas encore vincien, et qui porte une coiffure assez analogue à celle de Lucrezia Crivelli, dans son portrait du Louvre. D’ailleurs, son exécution picturale la place chronologiquement avant la Vierge à la source.

Ludovic le More rendit, dans l’espèce assez délicate qui lui était soumise par des moines qu’il voulait ménager, et par Léonard, son favori, un jugement très ingénieux qui montre ce qu’il savait faire en politique pour satisfaire tout le. monde. L’artiste garderait son tableau. Les moines en auraient une réplique, pour le prix convenu, de la main même du peintre ducal, lequel avait, dès longtemps, achevé les deux Anges musiciens.

C’est cette réplique qui est à la National Gallery. Or, précisément parce qu’elle provient de l’église des Frères servites, elle n’est pas de la main du Vinci et le principal argument d’archives