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d’Amalfi, qui nota le jour même tous les détails de cette entrevue qu’il jugeait mémorable. « Il montra à notre illustrissime cardinal trois tableaux, l’un de la Vierge avec Sainte Anne, un Saint Jean Baptiste et l’autre d’une certaine Beauté florentine, fait sur les instances du Magnifique, feu Julien de Médicis. Malheureusement une certaine paralysie de sa main droite empêche qu’on puisse attendre de lui quelque chose de bon. Il est vrai qu’il a formé un élève milanais qui travaille excessivement bien ; et quoique le susdit Léonard ne puisse plus peindre avec la morbidesse qui lui était habituelle, il s’emploie à dessiner et à enseigner son art autour de lui. »

Il est donc établi que cette Beauté florentine, cédée par Léonard, en 1517, l’année suivante, à François Ier pour quatre mille écus d’or, n’a pas pu être exécutée avant la fin de 1512 et que l’artiste n’y put mettre la main après le 10 octobre 1516. La légende des quatre années de séances continuelles, agrémentées de bouffonneries, de concerts et de causeries, s’écroule devant cette déclaration de l’artiste, corroborée par les indications, si précises, de ses carnets, sur l’emploi de son temps et les dispersions de sa vie errante.

Ce qu’on sait de Mona Lisa ne s’accorde pas mieux avec la peinture, ni avec cette chronologie certaine. Son mari, Francesco di Bartolomeo di Zanobi del Giocondo, était un Florentin opulent. Elu, en 1499, l’un des douze Bonshommes, il fut promu Prieur en 1512, un peu avant le retour des Médicis. Il avait alors cinquante-deux ans. Il avait épousé, en 1491, Camilla di Mariotti Rucellaï. Veuf presque aussitôt, il se remaria, en 1493, avec Tomasa da Mariotto Villani qu’il perdit encore, quelques mois après les noces. Ce n’est qu’en 1495 qu’il ramena de Naples, Mona Lisa Gherardini, âgée d’à peu près vingt-deux ans. Ils eurent une première petite fille, morte en 1499, puis un second enfant.

Comment pourrait-on expliquer que Léonard, si soucieux de vérité individuelle dans ces portraits, ait pu détruire systématiquement toute indication personnelle dans cette étude peinte ; puis qu’il ait représenté une Napolitaine, habitant Florence, sur ce lointain alpestre de lacs et de glaciers, où il est facile de retrouver le lac de Misurina avec le Cristallo et le Sorapiss, inversés, comme dans un miroir, par son habitude d’écrire et de dessiner à l’envers, de la main gauche ?