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que, durant ce dernier séjour à Florence, l’artiste ait entrepris le portrait de Mona Lisa ? Ce serait en contradiction avec le texte de Vasari, qui précise que c’est à la demande du mari, et non de Julien de Médicis, que cette œuvre « inachevée en quatre ans » fut entreprise ! Faut-il supposer que ce prince de trente-trois ans ait eu le coup de foudre pour la femme du prieur Francesco del Giocondo, ou que Léonard ait été séduit par sa troublante beauté ? On connaît la légende, inventée par Arsène Houssaye en 1863, qui veut que Léonard, amoureux de son modèle, ait pris plaisir à multiplier les séances de pose pour prolonger un tête-à-tête délicieux.

Mais en 1513, si l’artiste avait soixante et un ans, Mona Lisa en aurait eu trente-sept, puis quarante et un en 1517 ! A la condition qu’elle eût pu suivre Léonard à Rome, puis à Parme, de là en Sicile et de nouveau à Rome, peut-être aurait-il pu consacrer une partie de son temps à ce portrait. Car la chronologie de ses carnets est extrêmement précise et ne permet pas d’ambiguïté sur ses occupations. C’est le 9 janvier 1515 qu’il note : « Le magnifique Giulano di Medici part de Rome à l’aurore pour aller se marier en Savoie, » le même jour qu’arrivait la nouvelle de la mort de Louis XII, autre Mécène du Vinci, dont mention est faite au carnet du maître.

On avait fait espérer la royauté de Naples à Julien, pour le décider à épouser Philiberte de Savoie « la tante de ce gros garçon qui allait tout gâter sur le trône de France ; » mais avant même d’avoir été investi du titre de duc de Nemours que son neveu François Ier venait de créer pour lui, il mourait, à la Badia de Fiesole, de maux de reins et de fièvre tierce qui l’avaient rendu « sec comme une lanterne. »

D’ailleurs, Léonard était inquiet au milieu des compétitions de la Cour papale. Léon X ne le comprenait pas ; puis comme il s’exaspérait de lui voir chercher un vernis de couverture pour un tableau qu’il avait ébauché, il fit venir Michel-Ange à Rome. Léonard, froissé, demanda son congé et accepta les propositions du roi de France, lequel lui donna le logis de Cloux, près d’Amboise, où il s’installa vers le milieu de 1516, après avoir passé les Alpes, au col de la Seigne, et noté des tourbillons d’eau à Saint-Gervais, à la Saint-Jean d’été.

C’est là que Léonard présenta notre Joconde au cardinal d’Aragon, en présence de son secrétaire Antonio de Beatis