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condottiere aventureux qui eut la chance d’être associé aux trois plus hautes œuvres d’art de la Renaissance, n’avait pas toujours eu cette fortune enviable d’être le maître de la cité de Florence, le frère d’un pape et le généralissime de ses armées. Il avait été exilé de Florence, en 1494, avec ses frères Pierre II qui régnait alors, et Jean, le futur pape Léon X, ses ainés. Il s’était mis, pour vivre, à la solde de divers princes italiens qui changèrent de parti durant les guerres de cette époque troublée, comme leurs faucons changeaient de mains et de capuchon armorié, au gré des événements et des prises de guerre. Le plus jeune des Médicis était bien hors d’état de prendre à son service le très onéreux Léonard, dont la mobilité d’esprit et la curiosité musardière rendaient si rare la production ; or l’on sait que l’artiste n’aimait travailler qu’en pensionnaire attitré d’un Mécène.

Ce n’est pas avant la fin de septembre 1512, où il put rentrer dans Florence, en croupe d’Anton Francesco Degli Albizzi, à la tête des troupes espagnoles, qu’il dut songer à s’attacher le peintre de la Cène. On sait que les deux frères, Jean et Julien, escortés de leur cousin Jules, le futur pape Clément VII, firent leur entrée solennelle, le 14 septembre, avec un millier de lances, puis qu’ils obligèrent le gonfalonier Ridolfi à démissionner le 16, tandis que Julien était proclamé chef de la République florentine.

Certes, Julien appela aussitôt Léonard. En admettant, malgré ses sempiternelles lenteurs et sa prudence politique, que l’artiste soit revenu à Florence à la fin d’octobre, il n’y demeura que quelques mois. Car, le 11 mars 1513, le cardinal Giovanni, ayant été élu pape, quoique diacre encore, à moins de trente-huit ans, sous le nom de Léon X, s’empressait d’appeler auprès de lui son jeune frère, avec son peintre Léonard. « Giuliano ! lui écrivait-il, jouissons de la papauté, puisque Dieu nous l’a octroyée, » et il lui offrait le titre de généralissime des armées pontificales. L’artiste allait donc reprendre, à Rome, le rôle d’ingénieur et de cartographe qu’il avait tenu dix ans plus tôt auprès de César Borgia.

Julien abandonnait presque aussitôt Florence, tandis qu’avec son exaspérante lenteur, l’artiste ne prit la route de Rome que le 24 septembre 1513, avec toute sa maison : « Giovanna, Francesco, Melzi, Salaï, Lorenzo et le Fanfoïa. » Faut-il admettre