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la suppression des sourcils ; que Mainardi, Bianchi, le Spagna dans maintes toiles, Andréa Solari dans sa Vierge au coussin vert, Lorenzo di Pavia dans sa Famille de la Vierge, voire Raphaël dans le Jésus de sa Belle Jardinière, ont peint aussi des visages ainsi épilés.

Si l’on prête attention à cette règle singulière, on observera que la suppression des sourcils semble proportionnée à la qualité plus ou moins divine des personnages, en remarquant que les saints et saintes qui ne sont pas de la famille directe de Jésus ont, au contraire, la totalité de leurs cils et sourcils. Cette conception de la représentation divine semble être sortie de l’atelier de Verrochio, au temps précis où les « divines » Florentines, ayant appris des artistes le secret de l’impérieuse beauté antique, s’épilaient entièrement le corps, pour ne garder que la masse onduleuse de leurs cheveux. « Diva Giovanna Tornabuoni » se faisant peindre par le Ghirlandajo dans la fresque de Santa Maria Novella, avait pris garde de ne pas oublier ce détail de suprême élégance, avant que d’aller rendre visite à la Vierge Mère, laquelle, étant plus divine encore, ne pouvait manquer d’être mieux épilée.

Cette observation peut être faite dans tous les musées étrangers sur les œuvres des mêmes maîtres, si l’on veut suspecter l’intégralité des tableaux du Louvre ; plus particulièrement dans les dessins de Léonard pour la Sainte Anne de l’Albertina, de l’Académie de Londres, de Windsor et de Chantilly, et surtout, dans son Cénacole de Milan, où le Saint Jean, — l’un des prototypes de la Joconde, — et le Saint Jacques mineur, « l’un des frères de Jésus, » n’ont pas de sourcils.

Ceci posé, relisons la trop célèbre page des Vite qui décrit le portrait de Mona Lisa : « Après avoir peint la Ginevra d’Amerigo Benci, admirable chose pour laquelle il abandonna le travail des Frères qui le rendirent à Filippino... il commença aussi, pour Francesco del Giocondo, un portrait de Mona Lisa, sa femme, et le laissa inachevé, après y avoir travaillé pendant quatre ans. — Qui veut savoir à quel point l’art peut imiter la nature peut s’en rendre compte facilement en examinant cette tête où Léonard a représenté les moindres détails avec une extrême finesse. Les yeux ont ce brillant, cette humidité que l’on observe sur la vie ; ils sont cernés de teintes rougeâtres et plombées d’une vérité parfaite ; les cils qui les bordent sont exécutés