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scène charmante, destinée à un autel, la portée d’un mystère joyeux. Il faut donc regarder le tableau avec attention, jusque dans ses accessoires, même secondaires, pour y lire toutes ses intentions.

Observons, tout d’abord, que le petit Baptiste est assis auprès d’une source, élément principal de sa mission préévangélique ; qu’il se soulève, sous la main d’un ange, lequel n’est visible que pour le spectateur qu’il doit initier. Cet ange apparaît à nos yeux pour représenter la volonté de Dieu « premier moteur ; » lequel inspire au précurseur le geste baptismal sous lequel son Fils se prosterne, avec un empressement qui alarme la Vierge. Cet ange, qui nous parle et désigne Jésus, n’a pas été introduit après coup pour rendre intelligible cette scène, comme certains critiques l’ont avancé, — car le groupe pyramidal, si bien ordonné, si harmonieux de lignes, serait déséquilibré sans cet ange ; — mais pour introduire, dans cette rencontre aimable d’une jeune mère et de deux enfants nus, l’élément religieux qui manque aux Madones de l’Ecole ombrienne, aux Vierges de Raphaël, notamment, dont la Belle Jardinière du Louvre est l’un des plus précieux exemples. Mais de Raphaël à Léonard il y a tout un monde, et c’est celui de la pensée concrète, celui de l’expression concentrée.

Devant le prosternement de son enfant, la Vierge pressent tout le drame mortel dont ce geste sera l’augure ; elle cherchait à retenir Jésus, mais déjà elle le laisse faire ; de même qu’elle étend, d’instinct, sa main gauche abaissée vers la tête du petit Jean, pour l’empêcher de se relever et de procéder au baptême. Son gracieux visage, qui trahit l’émoi maternel, exprime aussi son acceptation de servante mystique et Léonard la jette à genoux, par surcroît, entre ces deux enfants, pour lui faire affirmer toute l’étendue et les nuances de sa résignation religieuse.

Cette scène symbolique de la prime enfance de Jésus et du Précurseur se déroule à la naissance du Jourdain baptismal, dont on suit le cours sinueux entre des rochers désertiques, jusqu’aux lointains de l’horizon, dans un site mystérieux dont la source est l’âme même ; car cette source explique tout le décor, avec l’usure des roches parle gel et le dégel, leur trouée en arches et leurs stalactites, ainsi que la présence des beaux iris bleus et de l’ange auprès des trois personnes sacrées dans