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Jean en adoration et élève la gauche au-dessus de l’Enfant-Jésus. Fond de rochers. » C’est là une très grave erreur d’interprétation, qui rend inintelligible toute la scène, laquelle n’a jamais été expliquée.

Devant une œuvre de Léonard, il faut se souvenir de sa définition, si souvent répétée, que la peinture est chose mentale, l’expression visible d’une idée concrète ; devant une œuvre religieuse de sa main, il faut chercher le thème évangélique qui rassemble ses personnages, dicte leurs attitudes, leur groupement et leurs expressions. La légende du scepticisme de Léonard ne tient pas devant ses œuvres d’une si haute spiritualité religieuse, comme le Cénacole, la Sainte Anne et la Vierge aux rochers.

Cherchons, donc, à saisir les intentions du Maître et l’objet de cette Conversation sacrée, selon les habitudes de ce grand esprit, en se souvenant de l’enseignement de ses manuscrits et du contexte de ses autres œuvres.

Léonard fut un sensitif chez qui le sentiment de la beauté excluait toute représentation de la douleur physique. Pour lui, le summum de la souffrance de Jésus, c’est sa prescience de la trahison prochaine d’un disciple, son acceptation du supplice de la croix, et c’est le thème de son Cénacole.

II laissera à Donato Montorfano la tâche d’exprimer l’horreur physique du Calvaire, avec ses trois croix et le coup de lance, toute cette boucherie humaine de l’agonie corporelle du Rédempteur, en face du grand drame moral, — point culminant des Évangiles, — qu’il évoquera, presque en même temps, sur l’autre paroi du réfectoire de Sainte-Marie des Grâces. Son pinceau n’a jamais peint le sang répandu. Son carton de la Bataille d’Anghiari, qui traduisait le choc de deux fureurs exacerbées, avait su fixer le combat avant la première blessure qui eût affaibli la rage des combattants. On a le témoignage d’un Florentin visitant les Indes qui écrivait en 1513 à Julien de Médicis : « Les Gazzaroles ne se nourrissent d’aucune chose animée, et comme notre Léonard, ils ne permettent pas qu’on nuise à aucun être vivant. » C’est pourquoi ses compositions furent toujours aimables.

Dans sa Vierge aux rochers, Léonard a voulu, manifestement, résumer, dans un jeu de physionomies d’enfants, l’histoire évangélique des trois personnages humains et donner à cette