Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 14.djvu/186

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les fibres de mon être vibrent à se rompre, je voudrais hurler ma joie... Qu’importe mes blessures, qu’importe leur gravité ! je suis sauvé, je vivrai...

Des mains se tendent vers moi. Sur tous les parapets, des Hommes kaki : les uns pour nous voir, les autres pour laisser passer notre funèbre cortège. Des patrouilleurs m’accompagnent et me racontent leurs tentatives successives : l’un d’eux a été tué le matin en observant, quelques-uns blessés entre les lignes. Je n’étais qu’à quelques mètres des tranchées allemandes et, malgré ce brouillard, l’entreprise était encore extrêmement risquée.

Je regarde leurs capotes déchirées par les ronces, toutes souillées d’avoir rampé par la plaine, et leurs yeux fauves où brûle encore la flamme superbe de leur résolution : mélange de misère et d’éclat sombre qui était bien en ce temps-là le visage même de l’héroïsme.

— Zouaves qui vous êtes sacrifiés avec tant de fraternité, et vous qui m’avez sauvé un matin de septembre, où êtes-vous maintenant ? Avez-vous survécu à cette guerre, ou bien vos poussières sont-elles dispersées sur nos champs de gloire ? Généreux frères d’armes, j’envelopperai votre souvenir dans l’immortelle légende de votre régiment [1] ; cette légende gravée tout le long de la voie sacrée : La Marne, Ramscapelle, la maison du Passeur, Verdun, Hurtebize, la Malmaison : débauches d’héroïsme, chœur d’épopées !


Lieutenant J. d’ARNOUX.

  1. Le 4e régiment de zouaves qui venait de me délivrer plantait quelques jours plus tard le fanion tricolore sur le fort de la Malmaison (le 23 octobre 1917).