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Je suis envahi par une poussée d’énergie, par une irruption de courage qui m’arrive sans cause apparente. Ce n’est pas l’instinct de conservation, ni le sentiment du devoir, ni toute autre impulsion, mais une force mystérieuse, irrésistible, qui secoue ma torpeur et me possède.

Non, je ne m’abandonnerai pas, il faut que j’appelle, il faut que j’appelle.

Alors, exaltant mon reste de vigueur, les deux mains en porte-voix, la tête renversée en arrière, je clame de nouveau : « Les Français à moi... Au secours ! » Plusieurs fois de suite je recommence ces beuglements, quand un cri lointain me fait tressaillir...

Quoi ! on a hurlé mon nom !.. D’où vient cette voix ?... Mais non... c’est impossible ; personne ne me connaît dans cette région ; je délire, je délire... Et comme les bombes éclataient près de moi, que mes oreilles tintaient, je me suis cru touché à la tête et j’ai palpé mon crâne précipitamment.

De nouveau, le même cri retentit vers les tranchées françaises : « D’Arnoux, d’Arnoux ! » Et sans rien comprendre encore, je répète ce cri comme un écho en ajoutant : « Ici, à moi. »

Quelques minutes d’interruption me laissent deviner. Mes camarades sont certainement venus en première ligne, ils ont donné mon nom aux zouaves et ceux-ci, avant de risquer une suprême tentative, veulent s’assurer de mon identité pour ne pas tomber dans une embuscade. Les interrogations qui suivent me confirment dans mon impression. Cette voix continue à brailler : « Quelle est votre escadrille ? » Je réponds : « La 55. — Comment s’appelle votre chef d’escadrille ? — Hély d’Oissel. » Et je patiente jusqu’au matin. A chaque instant, je crois les entendre approcher ; mais ce n’est que la palpitation des haillons de toile dans la pâleur de l’aube...

Un brouillard laiteux, opaque, épais comme un voile mortuaire se lève. Déjà l’aurore ! « Au secours ! A moi les Français ! Au secours ! » Desséchée par la soif, ma bouche se contracte, mon souffle s’épuise, et mes hurlements rauques s’étouffent dans la brume.

Mon avion est recouvert ; je ne vois plus rien... me voici enveloppé comme dans un linceul. Non, les zouaves n’ont pas pu venir, ils ne viendront plus ; impossible de me retrouver