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retentissent. Je tourne la tête : à trente mètres, des ombres gesticulent et se fusillent à bout portant. Les zouaves viennent de rencontrer mes visiteurs. Les patrouilles s’escarmouchent un instant et les Allemands s’enfuient. Ils repassent devant l’appareil moitié courant, moitié marchant. Trois d’entre eux à peine voûtés regardent dans ma direction, mais ils n’approchent plus cette fois et regagnent leurs tranchées.

Ah ! ce n’est pas long : des hordes de glapissements traversent la nuit et viennent s’abîmer contre moi avec des brisements cuivrés. Me voilà précipitamment assailli d’éclairs, éclaboussé d’étincelles et de poussière jaune. Des souffles rouges me chauffent le visage.

Dans des crevasses de lumière je distingue des petites nuées couleur de feu : les fusants.

Tout à l’entour, d’éblouissantes clartés sifflent, craquent et détonent. J’aperçois mon avion à la splendeur des éclatements : il rutile, la fumée l’enveloppe, on le croirait en flammes... le barrage, le barrage : obus, minen, torpilles tombent en avalanche. Sous l’ombre des fusées les piquets s’élèvent, ils prennent des attitudes bizarres et dansent comme de grands spectres. Quelques balles cinglent et la fusillade s’emporte : les fils de fer scintillent, des lignes brisées s’allument dans le réseau. Les percutants me rasent et, à chaque instant, me coupent la respiration. Des morceaux de braise lapident le sol. D’autres fragments sont invisibles. J’entends leurs cris voraces. Ils se croisent, se recroisent, m’effleurent et s’égarent : ils ne me toucheront pas. Je me propose de commencer des appels vers nos tranchées. « Les zouaves me croient prisonnier, pensai-je, il faut absolument les assurer de ma présence. »

Alors, entre deux explosions recueillant mon souffle, les ongles plantés dans la paume de mes mains, je hurle à pleine gorge :

— Les Français à moi !

Rien ne me répond, rien... que le bourdonnement des éclats errant dans la nuit splendide.

Mais le bombardement diminue et peu à peu le barrage s’éteint : l’accalmie... Ma tête collée au sol a reçu tous les chocs, elle en vibre encore, et, malgré le silence inouï, j’entends toujours l’orchestre aux mille voix. Les Allemands, craignant le retour de la patrouille, éclairent le champ de bataille sans