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une enquête aux pays du levant.

par la Syrie mon voyage que j’aurais pu commencer par Athènes et Smyrne. Vous savez quel lien m’attache à vous.

À bientôt donc ; croyez à ma vive amitié.

E. RENAN.


Bellevue, 28 octobre 1884.

Ainsi donc, cher et excellent ami, c’est d’aujourd’hui en huit que mon bien aimé Ary ira vous rejoindre pour ce voyage dont j’attends pour lui tant de plaisir et tant de bien. Que je vous remercie de cette précieuse idée et des incomparables moyens que vous nous offrez pour la réaliser ! Vous savez combien j’aime mon Ary. Son infirmité n’a fait que me le rendre plus cher. Je peux dire de lui : Vere dolores nostros ipse pertidit. J’étais trop malheureux dans la première année de mon mariage ; ma pauvre Henriette ne pouvait s’habituer à voir traduite en fait une idée qu’elle m’avait plus que personne suggérée. Il fut vraiment Benoni, le fils de ma douleur. Et puis, c’est le dernier des Scheffer. Il tient de ma femme beaucoup plus que de moi. Si vous aviez connu comme moi cette race étrange, derniers survivants des Berserkr du Nord, vous verriez quel mystère de race il y a dans cet enfant, né pour avoir six pieds de haut, puis brisé par un coup de barre, luttant avec une force intérieure inouïe contre une fatalité extérieure qu’il a réussi à dompter en partie. L’amitié que vous avez tout d’abord conçue pour lui prouve que vous l’avez bien compris. J’en ai été bien heureux. Je suis sûr que ce voyage fera époque dans sa vie. Il avait besoin d’être tiré du milieu parisien, qui le porte trop au dilettantisme et au paradoxe, pour être jeté en pleine nature et en pleine histoire. Votre main, tant de fois bonne pour nous, est venue le prendre, et saura le guider dans ce monde nouveau pour lui. Il est enchanté, et la joie qu’il éprouve est pour moi le meilleur signe du bien que ce voyage lui apportera.

Ici l’on va assez bien, fort bien même. La petite fille que vous avez mise en ce monde paraît entrer fort résolument dans la vie. La mère se lève depuis deux ou trois jours, et ses forces commencent à lui revenir. Seul, le vieux père est bien impotent, usé qu’il est par ce climat humide et atone. Ah ! si je pouvais voir encore une fois votre chaud triangle de Beyrouth et le sable de Sarba ! Je vous assure que si Maspero m’écrivait qu’on