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lui parler qu’à Angoulême : « Peut-être, ajoute-t-il [1], réclamerais-je toute votre amitié pour une chose que je ne saurais confier qu’à vous. Le dénouement sera connu en janvier je le crois. » Et Balzac termine ainsi : « Allons, adieu. En janvier, je parlerai à Thérèse. J’ai donné quelque espoir à Spachmann et vraiment je suis si convaincu de la parfaite concordance de cette chose, que je voudrais bien que Thérèse en fût un peu entretenue, si Auguste le peut ; mais avec les voisins et l’indiscrétion de Thérèse, tout cela est difficile. »


Cependant la situation des protégés de Mme Carraud est devenue désespérée. Il faut à tout prix les sauver. Mm# Carraud reprend la plume pour écrire à Balzac le 19 novembre :


Le 19 novembre 1833.

Je viens de recevoir une nouvelle lettre de M. Dupac, lettre déchirante qui me représente sa triste famille prête à mourir de faim, si je n’y apporte secours. Je les empêcherai bien de tomber dans cette extrémité ; mais je ne puis toujours les soutenir. Ne vous refroidissez pas, cher, et croyez que je vous tiendrai bien compte de ce qu’il vous faudra endurer d’ennuis pour cette affaire. Ce fantôme décharné, la faim, a été de nouveau évoqué et ne me quitte plus. La faim, bon Dieu ! Que le Ciel bénisse les entreprises de M. Girardin pour sa bonne action. Pressez-le, je vous en conjure.

Et vous, le repos ne se mettra donc jamais à votre chevet ?... Pauvre ami, toujours talonné, toujours poursuivi par un monde de libraires, d’imprimeurs, leurs épreuves à la main ? Ah ! votre vie serait à envier, si vous n’aviez qu’à mettre sur le papier ce torrent d’idées qui vous déborde ; mais ce matériel du métier, c’est odieux. Enfin, avec tout cela, on fait de la gloire et de l’argent, et c’est ce qui console. Et, quant à la gloire, je n’ai pas voulu dire que vous étiez peu soigneux de sa virginité ; mais je vous sais enthousiaste, facile à entraîner. Cet homme a du talent sans doute, et il vous a séduit [2]. S’il est calomnié, je le plains ; si votre nom, accolé au sien, devait le blanchir, je vous louerais de courir ces chances, mais comme il s’agit d’une spéculation, je tremble. Je vous le répète, je n’aime pas à vous voir cet associé. Vous savez mieux que personne, vous, explorateur du cœur humain, ce que produit un contact impur, et

  1. Toute cette fin de lettre est inédite. (Cf. Correspondance, I, 264).
  2. Bohain,