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Toute position est préférable à celle qu’on lui a faite dans cette maison. C’est une souffre-douleur, espèce nouvelle en France, mais depuis longtemps introduite en Angleterre [1]. Depuis longtemps, j’avais à vous dire qu’un jeune homme qui peut représenter la masse des lecteurs par sa position sur l’échelle intellectuelle, sachant que je vous connaissais, m’a dit : « Quel service M. de Balzac a rendu en recueillant la vie si courte de Lambert ! et quel développement Lambert aurait donné à la pensée, dans quel monde nouveau d’idées il nous aurait introduits sans sa mort prématurée ! Ahl madame, que n’ai-je été aussi à Vendôme ! »

Réponse à qui dira que Lambert sent le mannequin.

Adieu, cher, n’oubliez pas le pauvre M. de Balay. Carraud vous est bien attaché. Sa goutte est passée ; jusques à quand ? J’ai le cœur léger depuis que je vous sens libre des obligations qui pesaient si cruellement sur vous. Vous êtes trop sage pour retomber dans un pareil malheur. Vous avez deux nobles pensées d’argent qui doivent vous faire faire merveille.

A ce mois-ci donc !...


Balzac s’empresse de satisfaire au désir de Mme Carraud et lui annonce qu’il a chaleureusement écrit à Emile de Girardin pour lui recommander le protégé de son amie et il ajoute : « Il a fallu vous pour que je supportasse l’impertinence d’Émile. » Quant à Bohain, Mme Carraud doit se rassurer, car Balzac est « trop soigneux de la robe blanche qu’on appelle gloire, honneur, réputation pour y laisser tomber une tache [2]. » Pour le voyage à Angoulême, il faut que Mme Carraud patiente. Ce voyage ne pourra, en effet, avoir lieu qu’après un séjour d’un mois à Genève, sur lequel Balzac ne s’explique pas autrement. D’ailleurs, le voyage à Genève ne pourra s’effectuer qu’après liquidation d’une lourde dette de travail : « Je corrige mes épreuves, écrit-il à Mme Carraud ; le 25, j’aurai quatre volumes imprimés [3]. Eugénie Grandet vous étonnera. »

Balzac n’a pas encore avoué à Mme Carraud l’état de ses nouvelles amours avec Mme Hanska, leur rencontre à Neuchâtel. Il attend, pour lui révéler cette naissante passion, que l’attachement de l’Etrangère se révèle solide et définitif. Mais il ne peut s’empêcher de confier à son amie qu’il y a un événement bien grave dans sa vie dont il ne peut

  1. On en trouve plus d’un exemple dans Dickens.
  2. Correspondance, I, 263.
  3. Les quatre volumes des Scènes de la Vie de Province dont le tome 1er devait contenir la première édition d’Eugénie Grandet.