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soit. On lui a fait déjà banqueroute d’un ouvrage [1] ; ce sera une aumône bien faite ! Quel qu’il soit, ce roman, il vaudra toujours quelque chose ; il y en a tant et tant de mauvais ! De grâce, Honoré, employez-vous à cela ; c’est encore un embarras que je viens jeter au milieu de vos autres embarras ; mais il est si affreux de voir de ces misères, si profondes qu’on ne peut les secourir entièrement ! N’avoir pas de pain ! Nous autres qui trouvons à gémir au milieu de notre luxe, nous ne savons pas ce que c’est que d’avoir une femme et un enfant qui vous demandent du pain, et qui ont froid, sans pouvoir satisfaire à ces besoins qui nous sont inconnus ! Et ne pouvoir placer ce brave homme, plein de probité, bon scribe, bon comptable !... il y a de quoi se désespérer. Je frappe à toutes les portes ; je ne sais si je pourrai réussir à le caser. Ce bon Dupac fléchit sous tant de malheurs répétés. Toutes les cruelles privations qu’ils s’imposent ne peuvent arriver jusqu’à leur donner le pain de chaque jour. J’en ai la tête tournée. J’en vois tout sombre. Je suis incapable de me livrer à aucune autre pensée. Venez à mon secours, mon cher Honoré, et si le hasard vous mettait à même de disposer d’une place, ne fùt-elle que de mille francs et la plus asservissante du monde, pensez à moi. Oh ! pensez à moi, faites-la lui avoir, donnez-leur du pain ; voilà l’hiver, que vont-ils devenir ?

Honoré, je ne saurais vous dire rien de plus, je suis triste aux larmes.

Adieu, bonne et sainte affection.

ZULMA CARRAUD.


Balzac répondit immédiatement [2] à la requête désolée de son amie, qui sur le champ lui envoya le pauvre M. de Balay, le malheureux beau-frère de Dupac, muni de ce billet :


Vous m’avez comprise, oh ! cher, merci, merci ! quoi que vous fassiez, je n’oublierai pas que vous avez répondu de suite à mon appel. Le voilà, ce pauvre M. de Balay ; tâchez de l’utiliser. Je vais me faire des intelligences à Saintes, et votre voyage y sera tout préparé. Si le maître y consent, je vous accompagnerai, ou bien, ce qui sera encore mieux, nous vous y accompagnerons. Encore deux bons jours que vous me promettez ; je les

  1. La traduction d’un ouvrage allemand intitulé : Erick XIV et sa famille.
  2. Cette réponse est perdue.