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nous n’ayons rien de disponible, parce que ce que l’on nous donnera comptant est destiné à solder un créancier qui en a besoin. Jamais peut-être je n’ai mieux senti l’avantage d’avoir quelques mille francs disponibles ; j’aurais beaucoup tenu à courir les mêmes chances que vous. Cette spéculation, il y a si longtemps que, comme vous, je la nourris, que j’avais fini par la regarder comme mienne. Aussi, si, comme il est trop probable, je ne puis y être associée, je contribuerai de tous mes faibles moyens à son succès. Je n’épargnerai ni lettres, ni démarches. Auguste ne compte pas être ici avant un grand mois ; peut-être nous enverra-t-il la copie de l’acte avant son retour [1]. Être propriétaire est une douce chose, quand on vit sur ses terres ; mais autrement, c’est une vie de prévisions et de privations.

Adieu, l’homme aux lettres attend la mienne, que je n’ai pu commencer plus tôt, puisque je n’étais pas revenue d’Angoulême. C’est avec tristesse que je vous dis cet adieu, car cette lettre m’ôte toute chance de vous voir de bien longtemps. Adieu.


Les craintes de Mme Carraud étaient justifiées, elle n’aura pas une somme d’argent disponible assez forte pour prendre part à l’entreprise de Balzac. Quels regrets !


Le 16 octobre 1833.

Je suis triste à la mort, cher Honoré. D’abord parce que la vente de mon bien n’a pas été conclue comme je le voulais et ne me laisse pas la faculté de participer à votre entreprise. On a passé l’acte sans Carraud, mon père se faisant fort pour lui, et le mode de paiement ne nous laisse pas de suite autant de fonds disponibles qu’il nous en eût fallu pour satisfaire à notre dette, et au désir d’avoir, nous aussi, notre fraction d’action. Puis, M. Dupac [2] vient de m’écrire que son malheureux beau-frère vient de perdre sa place ; voilà encore cette famille sans pain. Sans pain ! jugez donc, et ne pouvant aller travailler à la terre, ou mendier !... Le pauvre homme a encore un roman traduit dont la vente le ferait vivre quelque temps encore. Mais le vendre est difficile. Cher ami, prêtez-moi donc votre appui dans cette circonstance ; faites-le lui vendre, à quelque prix que ce

  1. L’acte de constitution de la Société pour l’exploitation des volumes à un franc.
  2. Le lieutenant Dupac, précédemment cité (Cf. Revue des Deux Mondes 15 janvier 1923, p. 355 et Les Cahiers Balzaciens, n° 1 (1923), p. 2 et 5).