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ne sont pas ceux-là qui jugeront bien le Médecin. Si chaque phrase eût visé à l’effet, s’il y eût eu des mots heurtés, il eût cru du temps nécessaire pour écrire ce livre. Mais c’est si simplement sublime, qu’il ne lui est pas venu à l’esprit que vous ayez eu à y penser deux fois. Ce ne seront point là ceux que vous attachera ce bel ouvrage, mais bien les belles âmes, les bonnes, les esprits droits qui s’ignorent, et cette foule de bonnes et braves gens qui, sans comprendre le mérite de l’auteur, prendront cela pour un fait vrai dans tous ses détails et qui, quand une souffrance acerbe leur arrivera, penseront à’ Benassis. Oh ! oui, l’édition à un franc, et pas seulement, cher ami, comme spéculation, mais aussi comme bienfait !

Il y a tant de cœurs d’élite que les lois immuables de la société condamnent, par suite de travaux nécessaires, à des dehors communs, à une enveloppe raboteuse, mais qui auront des larmes pour les profondes mélancolies du Médecin [1] ! Je n’étais pas encore arrivée à penser que l’on pût limiter le temps pour une production de l’intelligence ! Mais si vous faites le troisième Dixain, comment pourrez-vous travailler et livrer au temps dit les Trois Cardinaux ? Que toute cette affaire est cruelle et mal placée ! Enfin, ne vous laissez point abattre ; il ne faut s’effrayer de rien, puisque vous avez écrit le Médecin au milieu de semblables soucis.

J’aurais presque envie de souhaiter que vous ne fissiez pas affaire dans les Vosges ; mais votre temps est si précieux à tous que j’étouffe ce vœu. J’aurai plus de bonheur de devoir votre visite au besoin et à la possibilité de vous distraire. On m’a dit que MM. Montgolfier avaient établi à Saint-Maur une papeterie pour impression, et que leurs papiers étaient supérieurs et à bon prix pour celui qui achète.

Ma vie ne se diversifie pas, mais elle est toujours bonne. J’ai des nouvelles d’Auguste, qui a manqué périr dans le lac de Lucerne, le jour même où il vous mandait la promenade qu’il allait y faire. Ses études, ses pinceaux, ses couleurs, sa palette, tout est resté au fond de l’eau. Heureusement il avait avec lui peu de choses faites. Je vous attends presque. Que ne puis-je dire aux feuilles de ne pas tomber et à mes fleurs de conserver leur fraîcheur ? Mais, s’il ne me reste que le coin du feu et ses

  1. Ce sont les mélancolies de Balzac amoureux de Mme de Castries.