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propriété dont nous sommes en chemin de nous défaire, je pourrai prendre le tiers d’action, que sans cela j’aurais la grande douleur de voir passer en d’autres mains, car nous n’avons pas le sou ; c’est pour sortir de cet état, si connu des propriétaires, que j’ai consenti à la vente d’un de mes domaines dotaux. Pour le papier que vous allez chercher dans les Vosges, je vous dirai que MM. Lagrange ont le monopole de toutes les papeteries de ce pays. Un des frères réside à Paris et pourrait, je crois, vous éviter le voyage, puisque vous n’avez point là la chance de la concurrence. Vous aurez votre papier personnel le plus tôt possible.

Travaillez-vous aux ouvrages que vous comptez donner au public ? Cette question sera faite par tout le monde, quand vous ferez connaître votre affaire. Il ne faudrait pas trop y donner de temps. A vous, il faut un autre genre de succès. Depuis le Médecin, nous avons essayé de lire autre chose ; mais impossible : tout semble travaillé, lourd, sans plan, sans but. Nous en sommes à recourir à vous, et hier, Birotteau a fait les frais de notre journée ; Birotteau, mon œuvre de prédilection. Mais ce n’était pas le Médecin que ce chef-d’œuvre d’une intelligence investigatrice, qui avait trouvé le mystère du prêtre et de la vieille fille [1]. Dans une semaine, je relirai le Médecin ; il me faut le mûrir. Quand je l’ai eu terminé, j’ai senti qu’il fallait le relire plus d’une fois.

Le succès entier de votre entreprise ne tiendra pas seulement aux talents que vous mettrez au jour, au nombre des abonnés et à la réussite de vos procédés typographiques. Il vous faut, avant tout, un bon comptable, qui puisse vous avertir, a l’instant où le chiffre de l’actif sera en désaccord funeste avec celui du passif. Il doit être le régulateur de votre affaire. Il lui faut et talent et sang-froid, et surtout la plus scrupuleuse exactitude. Mettez de la méditation à le choisir. Je crois la chose bien importante.

J’en reviens au Médecin, car je ne puis penser à autre chose ; ce livre m’a prise par tous les côtés, s’est infiltré en moi, je ne vis que de lui. Mais votre libraire est donc un grand animal, sans intelligence même de ses propres intérêts, pour vous avoir attaqué quand vous lui donniez à vendre une chose pareille. Et le Dupin donc ! [2] C’est que, voyez-vous, il n’est qu’homme d’esprit ; ce

  1. Il s’agit ici du fragment des Célibataires, intitulé : Le Curé de Tours.
  2. M. Dupin, qui venait de plaider dans le récent procès soutenu par Balzac au sujet du Médecin de Campagne.