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rarement. La seconde édition sera bien à vous, je pense ?

N’avez-vous donc pas reçu ma dernière lettre ? J’ai fait le traitement par les bains brûlants qu’on m’avait ordonné ; j’ai eu du mieux d’abord, mais j’en suis maintenant où j’en étais en arrivant ; les douleurs ne me quitteront plus. Souffrir me serait bien égal, si l’on pouvait seulement m’assurer douze ans de vie, que je puisse élever mon fils ! Mais je n’aime pas à penser à cela. Il me faudrait ne rien faire du tout, et c’est bien dur. Je vais rester quelques jours, voir si le repos m’apportera quelque tranquillité.

Je n’ose insister pour que vous veniez. Pourtant, si Paris vous pesait trop, si l’air et un milieu tout d’affection vous devenaient nécessaires, songez à moi qui serais si heureuse de mettre quelques pensées en commun avec l’ange ; car, croiriez-vous que je me surprends quelquefois à dire. « Je suis sûre qu’elle pense ainsi ! » Oh ! orgueil ! Vous resteriez longtemps, ce qui neutraliserait les frais du voyage. Oui, pensez à moi si vous quittez Paris ; de bonnes et simples gens vous feraient du bien et calmeraient la cuisson de vos blessures. Vous êtes dans une crise violente qui, une fois passée, vous laissera plus fort qu’avant. Quand vous en serez venu à travailler sans que personne soit derrière vous, ayant droit de dire : « Hâtez-vous ! » alors, vos travaux ne dévoreront plus votre vie, qui ne s’en ira pas dans cette rapide et continuelle émission de pensée. Mon Dieu, que n’en êtes-vous là ? Aller en Russie ! J’ai eu froid en lisant cela ! Puis, vous donnez trop beau jeu à cette tourbe d’envieux de tout genre. Ne fuyez jamais après une défaite. S’il vous faut en essuyer une, ne donnez pas gain de cause à de telles gens. Et nous tous, qui vous aimons tant, ne nous compteriez-vous donc pour rien, cher ?

C’est pourtant là ce qu’il y a de plus réel dans votre vie, et dans la nôtre aussi, et à votre âge les amitiés ne se forment plus ; on ne jouit bien que des anciennes. Le capitaine Périolas [1] ne vient pas au mois d’octobre. Sa sœur, qui habite Mantoue, arrive en France au commencement de septembre. Il ne viendra qu’au commencement de 1834, mais nous avons l’espoir de l’avoir toujours. Il paraît presque certain que l’on

  1. On trouvera la correspondance inédite de Périolas avec Balzac dans le n° 1 des Cahiers Balzaciens, où elle est publiée in extenso avec portraits et fac-similés (Paris, à la Cité des Livres, 1923).