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Je ne sais point l’issue de votre procès, mais je crois qu’elle ne fut pas telle que vous aviez le droit de l’attendre. Ah ! cher, c’est que, voyez-vous, vous donnez trop facilement votre confiance et même votre bienveillance ; comme toutes les âmes élevées, vous prêtez vos façons d’agir à tout ce qui est en rapport d’affaires avec vous, et vous êtes dupe. Ne pourriez-vous donc pas avoir, entre vous et tous ces dévorants qui vivent de vos œuvres, un intermédiaire qui traiterait vos intérêts mieux que vous et vous éviterait bien des âcretés ? Car il me semble qu’il doit vous être odieux d’entendre discuter le prix de votre plus pure essence comme s’il s’agissait de celui d’une à une de batiste. Pourquoi Auguste court-il le monde ? Pourquoi sa profession et son modique revenu ne lui permettent-ils pas de rester près de vous, et de vous servir dans toutes les transactions ? On est bien plus fort, quand il s’agit des intérêts d’un ami, qu’alors que l’on traite les siens propres. Et vous ne pourrez pas venir ?

Je suis désolée de vous sentir dans Paris, immergé dans toute cette amertume, dont l’ange sublime ne peut pas toujours vous garantir. Il faudrait une distance de fait mise entre vous et ce peuple d’ouvriers que vous faites vivre, et cet autre d’auteurs que vous éclipsez. La conjuration est vraiment bien montée ! Quand il me tombe quelque journal entre les mains, quelque avis d’éditeurs, quelqu’une de ces préfaces où l’on passe en revue toute la littérature de l’époque, jamais vous n’y êtes mentionné ; ils ne vous pardonnent pas de n’avoir pas voulu donner dans le genre louche et bourreau. Vous seul, maintenant, avez le secret des émotions lentes et profondes, des nuances, des vibrations ; vous dédaignez les catastrophes hors du bon sens, du vrai et du bon goût.

Enfin, peut-être seriez-vous trop heureux si aucun nuage ne troublait cette vie que vous illuminez, et que vos amis cherchent à vous rendre si douce. Car vos amis vous aiment bien, quelque hétérogènes qu’ils vous soient. Si vos embarras pécuniaires étaient finis ! Dites-moi donc de combien est ajournée cette liberté à laquelle vous attachez tant de prix et que j’attendais avec anxiété. Une fois libre, vous ne ferez que des livres. On nous a dit que vous écriviez dans un nouveau journal, le Saphir, je crois, ou quelque titre approchant [1]. Oh ! mon cher Honoré,

  1. Recueil légitimiste, où Balzac publia, en mai 1832, le Refus, scène de l’Histoire de France.