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présida au développement de la Vie de Jésus dans le cerveau de son frère. Il me décrit sous quels traits saisissants, petit garçon, il a vu cette singulière personne : « maigre, d’une taille plus que moyenne, une figure extrêmement intelligente, la bouche sombre, les cheveux grisonnants, très savante et parlant de choses archéologiques. » Mme Gaillardot complète cette silhouette.

— Ma belle-mère, me dit-elle, m’a souvent raconté que Mlle Renan était acariâtre. C’est juste le mot. Elle se plaignait toujours, ne prenait pas son parti de la nourriture, se trouvait mal du climat, se fâchait contre les domestiques.

— C’est vrai, ajoute M. Gaillardot, mais c’est elle qui fit ajouter par Renan les belles pages concernant mon père. Renan n’avait rien mis. Elle lui dit : « Ecoute, mon ami, tu n’es pas juste envers Gaillardot. Rappelle-toi ce qu’il a fait. » Légende ou vérité, ce Irait indique en quelle estime on tenait la droiture morale de Mlle Renan et son esprit de justice. Après le repas, M. Gaillardot me conduisit dans son cabinet de travail, dont les hautes fenêtres dominent Beyrouth et la mer, et embrassent largement les montagnes du Liban et le Sannîn perdu dans les neiges. Il mit sur la table les lettres et les livres de Renan, et gaiment :

— Regardez, lisez, et interrogez-nous.

Quels moments que ceux où je pressais ainsi de questions des personnes qui possèdent, d’une manière unique, le détail d’une aventure si précieuse, en même temps que je contemplais le coucher du soleil sur l’horizon admirable où elle se déroula ! Pour bien m’assurer que je ne laissais dans l’ombre aucune circonstance importante, je demandai à M. Gaillardot que nous relisions à haute voix les pages du Mémorial sur le Voyage de Syrie. Nous y trouvâmes tout de suite le nom de son père.

« M. Gaillardot, écrit Renan, resta à Amschit, après notre départ, pour veiller aux funérailles de ma pauvre amie. La population du village, à laquelle elle avait inspiré beaucoup d’attachement, suivit son cercueil. Les moyens d’embaumement manquaient tout à fait. Il fallut songer à un dépôt provisoire. Zakhia offrit pour cela le caveau de Michaël Tobia, situé à l’extrémité du village, près d’une jolie chapelle et à l’ombre de beaux palmiers. (Des palmiers, interrompt à mi-voix Gaillardot, en avez-vous vu ?) Il demanda seulement que quand on l’enlèverait, une inscription indiquât qu’une