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daigna se montrer dans les rues de Madrid, à cheval au côté de Mayenne, « ce qui est tenu à faveur extraordinaire en ce pays. » Peut-être mettait-il en pratique la maxime fine et plaisante de Don Quichotte, rapportée par Sancho Pança : « La politesse, à ce que prétend mon maître, est une fort bonne chose qui ne coûte presque rien. » .

Mais c’est bien moins l’avarice que la hauteur de la noblesse espagnole qui avait blessé Mayenne. Nulle visite des ducs d’Albe, de Maqueda et de Lerme en dehors des visites de bienvenue ; nulle visite d’adieu du duc de Lerme, fort prompt à épouser la querelle de son parent le cardinal de Tolède, qui refusait le titre d’excellence à Mayenne et ne lui donnait que du seigneur illustrissime.

Mayenne ne s’attarda pas outre mesure auprès des dames de Madrid. Le 1er ou le 2 septembre, il se séparait de Vaucelas à l’Escurial. Pour visiter l’Escurial, il s’arrêta tout un jour. L’Escurial ! Aucun palais peut-être dans le monde n’est plus légendaire et l’objet de jugements plus contradictoires. Aux yeux de Victor Hugo, c’est une sorte de palais enchanté :


On voit un grand palais comme au fond d’une gloire,
Un parc, de clairs viviers où les biches vont boire.


A M. Louis Bertrand, dans l’Infante, le monastère apparaît « immaculé et calme en sa candeur comme une basilique d’Orient. » Théophile Gautier, au contraire, a dit avec une sorte d’irrévérence que « c’est le plus gros tas de granit qui existe sur la terre ; il le trouve aussi lugubre que les in-pace des prisons du Moyen-âge : « Je conseille aux gens qui ont la fatuité de prétendre qu’ils s’ennuient d’aller passer trois ou quatre jours à l’Escurial ; ils apprendront là ce que c’est que le véritable ennui, et ils s’amuseront tout le reste de leur vie en pensant qu’ils pourraient être à l’Escurial et qu’ils n’y sont pas. » Edmondo de Amicis, ayant cité cette phrase de Théophile Gautier, ajoute, après neuf pages de description enthousiaste sur l’immensité, la puissante originalité, le nombre et la somptuosité des objets d’art qui ornent cet édifice étrange : « C’est à peu près vrai. Aujourd’hui encore, après tant de temps, par les journées pluvieuses, quand je suis triste, je pense à l’Escurial, puis je regarde les murs de ma chambre, et je me réjouis. »

Est-on curieux de savoir quelle impression ce formidable