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une enquête aux pays du levant.

des hurleurs, des danseurs, des mutilés volontaires, des pleureuses et des prêtres. Aujourd’hui, quel silence ! Toute cette rive est devenue une sorte d’Italie. Des bois de pins, des tables sous les arbres, des puits, des animaux attachés que caressent des enfants : rien qu’un peuple en tarbouch, et, mêlés aux peupliers flexibles, d’innombrables palmiers. Mais cette eau verte. près de la rive, bleue foncée dans le lointain, comme elle est folle, mâle et femelle, toute puissante ! On attend que de son mystère surgissent des dieux. Je voudrais connaître ce que pensent, sous les leçons que nous leur apprenons, les petits enfants et les vieilles gens du pays.

Gaillardot me raconte que, dans le Liban, subsiste une faculté prodigieuse de créer des petites légendes sentimentales. Des contes y circulent, où il y a un fond de vérité. Celui-ci, par exemple.

Un jeune homme de Batroun est allé en Amérique. Il revient avec 500 livres. Avant d’aller voir ses parents, il passe chez sa sœur, dans un village voisin, et lui demande ce qu’ils sont devenus. La jeune femme, par jeu, lui propose de demeurer cette nuit-là sous son toit, et le lendemain d’aller chez les parents, en se donnant comme un ami de leur fils. L’idée lui plaît, et la nuit passée, il la quitte, se rend à Batroun, entre dans la maison de famille, et raconte à son père et à sa mère, qui ne le reconnaissent pas, qu’il leur apporte des nouvelles de leur fils : celui-ci se porte très bien et arrivera dans vingt jours. Il s’assied à leur table, accepte leur l’hospitalité pour la nuit, et au moment de se coucher, leur confie son sac contenant ses 500 livres, le fruit de ses économies. Tandis qu’il dort, l’homme et la femme pénètrent dans sa chambre et le tuent. Le lendemain, la jeune femme d’arriver toute joyeuse à la maison. Il faut entendre les ululements, les arari. Etonnement des parents. « Pourquoi donc est-elle si joyeuse ? — Comment ! vous n’avez pas reçu mon frère ? Il était chez moi hier. » Consternation des parents, et de gémir, de s’arracher les cheveux, les vêtements. Tous trois, père, mère et fille, les voilà prêts à entrer dans le cortège d’Atys ou d’Adonis.

Je m’émerveille qu’un tel récit naisse spontanément dans « une vallée si bien faite pour pleurer. » Où pourrais-je étudier le folk-lore du Liban ? Mais soudain :

— Dites-moi, Gaillardot, quels sont donc ces prêtres qui se tiennent, là-bas, en travers de la route ?