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Ce jour-là, le Roi ayant envoyé autant de carrosses et de chevaux qu’il en fallait pour tous les Français, sur les cinq heures, toute la noblesse de la Cour, à cheval et conduite par le duc d’Uceda, fils aîné du duc de Lerme, les ducs d’Albe et d’Albuquerque, vint chercher à l’hôtel Spinola le duc de Mayenne et sa suite. La cavalcade et les carrosses s’acheminèrent vers le Palais. Aux boutiques et aux fenêtres ouvertes des maisons, une multitude de spectateurs immobiles regardaient le défilé, une multitude mouvante de curieux remplissait les rues. Les cavaliers fendaient péniblement le flot populaire.

Madrid, choisie pour être le séjour de la Cour par Philippe II à la fin du siècle précédent, abandonnée, puis reprise par Philippe III, était loin d’être alors une capitale glorieuse. Fontenay-Mareuil, l’un des cavaliers de la suite de Mayenne, ne la « trouvait pas plus grande qu’Orléans. » Tous ne jugeaient pas comme lui. Lingendes écrit qu’elle est une des plus grandes merveilles de la terre, mais pour des raisons assez singulières, dont la principale est le moyen qu’on a trouvé de nourrir cette ville bâtie dans un pays stérile, sans rivière, loin des rivières, loin de la mer, si peuplée qu’il est impossible de croire que la famine n’y soit toujours. Il s’étonne aussi d’y voir autant d’églises qu’il y en ait en ville du monde, si belles, si parées et si bien accommodées qu’on peut dire que ce n’est qu’or et azur. Il nomme après cela les dames dont la beauté ordinaire et la quantité n’est pas chose qui doit se taire. Ces étonnements nous laissent assez loin de l’admiration infinie et plaisante des Espagnols et de leur orgueilleux dicton : « De Madrid au ciel, et, dans le ciel, une lucarne pour contempler Madrid » (De Madrid a cielo, y en cielo un ventanillo para ver a Madrid.) Très loin aussi du mépris que l’on eut si longtemps pour cette ville aujourd’hui si belle. En plein dix-huitième siècle, un écrivain, — un Espagnol, — la déclarait la plus malpropre de l’Europe : « Era la corte mas sucia que se conoscia en Europa. »

Les cavaliers débouchèrent sur une place devant l’Alcazar royal, le sombre palais de Charles-Quint aux cinq cents chambres, mirent pied à terre, montèrent au premier étage entre deux haies formées par les gardes suisse, espagnole et wallonne, traversèrent des salles d’une richesse éblouissante.

Dans la salle d’audience, les Espagnols se rangèrent à gauche, les Français à droite. Philippe III était assis dans sa