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ressente, un thrène où je puisse joindre mon couplet, un cortège où je tienne mon rang. Lamartine a remporté le corps de sa jeune fille, et je murmurerais son cantique sublime devant une tombe vide ; la trace de lady Stanhope, si je la retrouve, serait trop mêlée d’extravagance ; mais ici la présence réelle de la relique justifie mon émotion, et ouvre un champ tragique à nos pensées.

En face de la tombe, nous entrons dans l’église. Gardons-nous de mettre au premier rang, dans l’œuvre de ce beau génie, ce qui offenserait cette maison de civilisation. Nous suivrions sa trace avec moins de ferveur, si nous pensions que ses rêves, son travail et la mort de sa sœur aient vraiment réussi à diminuer Dieu. Qu’ont-ils voulu tous les deux ?

Cependant que je m’interroge, une femme arabe, que notre entrée n’a pas distraite, prie avec une ferveur qui se rit des éruditions.

L’heure est venue que nous rentrions à Beyrouth. Au moment des adieux, le fils de Tobia m’attire un peu à l’écart, et, d’une voix baissée, avec un air de grande intelligence :

— Je sais parfaitement ce qu’était Renan. Il niait la divinité de Jésus-Christ, et c’est pour cette raison qu’il a donné le nom d’Arius à son fils.


Je suis très excité par l’idée de voir au retour le lleuve Adonis. C’est un des points que de France mon imagination visait. Du Carmel à l’Oronte, la côte est toute illuminée par les noms de Tyr, Sidon, Byblos, Arados, qui réapparaissent sous les formes de Ruad, Gebeil, Saïda et Sour, mais rien ne m’attire plus que cette vallée de l’Adonis dont nos maîtres ont fait le paysage romantique par excellence.

— Gaillardot, le voici, il faut nous arrêter.

L’embouchure de l’Adonis est un endroit charmant, que l’antique Phénicie a chargé de mythes. Le fleuve y coule au fond d’un abime. Un bouquet de trembles le surplombe et fraîchit dans son courant d’air. Je m’y suis assis, sous une tonnelle, pour boire un verre de cette eau sacrée, surgissant des profondes déchirures du Liban. Adonis est-il mort ? Une petite église sur la côte l’atteste. Elle surveille les lieux où débouchait, il y a dix-huit siècles, à son retour d’Afaka, le cortège des flagellants,