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La Torre s’augmentait d’un transport armé en guerre. Le 7 octobre au matin, par un temps brumeux, cette division La Torre prit le contact dès l’aube avec le Huascar et la Union, leur coupant la route qu’ils suivaient vers le Nord. L’amiral Grau sentit immédiatement tout le danger de la situation ; il donna l’ordre à la Union de le quitter et de regagner Arica, ce qu’elle put faire grâce à sa grande vitesse, poursuivie par les deux bâtiments chiliens qui accompagnaient l’Amiral Cochrane, et il commença le feu à 3 000 mètres contre ce cuirassé d’un tonnage triple du sien. L’action se déroula à la hauteur du cap Angamos qui donna son nom à ce mémorable combat naval.

Le Cochrane laissa diminuer la distance avant de commencer son tir, qui causa dès les premiers coups quelques avaries au Huascar ; l’amiral Grau essaya par deux fois d’éperonner le Cochrane, mais les adroites manœuvres du commandant La Torre l’en empêchèrent : le cuirassé chilien possédait deux hélices, dont l’action lui permettait de virer de bord beaucoup plus rapidement que son ennemi. Un obus pénétra dans la tourelle du commandant du Huascar, mettant en pièces l’amiral Grau et un de ses officiers. Quatre autres officiers, qui prirent successivement le commandement, subirent le même sort au même poste ; aucun organe de transmission ne fonctionnait plus dans la tourelle immobilisée ; la tourelle qui portait les deux grosses pièces était dans le même état, l’un de ses canons hors d’usage. Dans ce combat à la distance variant entre 300 et 50 mètres, le cuirassement du Huascar était tout à fait insuffisant.

Le Blanco Encalada, le second cuirassé chilien, attiré par les détonations, joignait son tir à celui du Cochrane, ayant ouvert le feu à 600 mètres. La mitraille ayant coupé les drisses du pavillon péruvien à bord du Huascar, les cuirassés chiliens cessèrent de tirer, croyant que l’ennemi se rendait, mais le pavillon fut de nouveau hissé et le feu reprit avec une nouvelle intensité. A plusieurs reprises, les combattants essayèrent sans succès de s’aborder à l’éperon ; les mitrailleuses Nordenfeld des Chiliens avaient éteint les mitrailleuses Gatling des Péruviens. Après une heure et demie de ce combat héroïque, le Huascar, complètement désemparé, amena enfin son pavillon. Cinq officiers, dont plusieurs déjà blessés, avaient été tués au poste de commandement ; le tiers de ses hommes était hors de combat.