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quand il n’a plus à douter, ni à redouter, que noire amour se lasse. Celle que nous savons toute à nous, c’est de tout ce qui devrait nous la rendre chère qu’elle nous devient moins désirable. De combien d’honnêtes femmes n’est-ce pas la douloureuse histoire ? Les plus avisées, qui ont flairé le danger, le conjurent ou l’éloignent en se composant une personnalité d’emprunt. Elles jouent un rôle : ce n’est pas sans une intime souffrance. Quel chagrin de ne pouvoir être elles-mêmes et de ne retenir un amour prêt à s’échapper, qu’en le détournant vers un être dont elles ont pris l’apparence, mais qui n’est pas elles ! Angoissant dilemme qu’il n’y ait pas d’amour sans la sincérité, et que la sincérité soit l’écueil de l’amour.

Cette vue, qui domine l’éternelle comédie, sous quelle forme la traduire au théâtre ? On l’imagine sans peine devenant le sujet d’une pièce psychologique toute en analyse, en conversations plutôt qu’en action, et où il ne se passerait rien, cependant que s’y débiteraient de subtils propos. Et ce ne serait déjà pas si méprisable ! Mais c’est tout autrement qu’a procédé M. Alfred Savoir. Parti d’une idée abstraite, il a trouvé, pour l’extérioriser et la mettre sous nos yeux, un moyen qui est essentiellement « du théâtre. » Dans cette trouvaille réside l’originalité de sa pièce.

Le premier acte, extrêmement brillant, spirituel, mouvant, nous laissera sous l’impression d’une énigme. Un cabinet particulier dans un restaurant de nuit. Il y avait bal à l’Opéra. De sa loge, une femme inconnue, et des plus élégantes, a fait signe à Pierre Rollon. Celui-ci, doux fêtard, a accepté l’aventure, et les voilà sur le canapé classique devant l’obligatoire seau à champagne. Elle, mystérieuse, lointaine avec son accent étranger et l’ironie de son rire, très maîtresse d’elle-même. Lui, bon enfant, pas très fort et surtout pas la tête très forte. Peu à peu gagné par la griserie de sa bonne fortune, et de la griserie glissant à l’ivresse, il se raconte. Il a été officier, a donné sa démission, est maintenant quelque chose comme banquier. Questionné par sa partenaire, il lui fait, avec le même laisser-aller, l’historique de sa vie sentimentale : amours de garnison, liaison à Lunéville... « Avec la femme de votre commandant... » Tiens ! Comment sait-elle cela ? Au fait, il lui semble qu’il ne la voit pas pour la première fois. Un souvenir va-t-il lui remonter à l’esprit ? Mais son cerveau commence à s’embrumer... Pourtant il voudrait savoir qui est cette femme. Un porte-carte, tombé à terre, lui révèle son nom : Irène Salvago, l’étoile de cinéma. Elle, à son tour, par un écho de journal, apprend que Pierre doit se marier