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M. Chevillard a pris des soins fraternels de la musique de son collègue et ami. Il l’a jouée, ou fait jouer, — c’est tout un pour un chef d’orchestre, — avec précision et souplesse, avec puissance au besoin, et même avec sensibilité.

Connaissez-vous un plus joli nom que celui de Cimarosa ? Peut-être ne convient-il pas très bien au musicien, lequel était un gros bonhomme tout rond. Mais comme il sied à sa musique ! Le Matrimonio segreto est l’un des sommets, — non pas sans doute le plus haut, — de l’opéra-bouffe italien et, rien qu’à l’entendre, on voit tout en rose. Au Trianon-Lyrique, un soir du mois dernier, le public sembla partager cette manière de voir. Volontiers il aurait fait chorus avec le sextuor final qui, dans le texte italien, se chante sur ces paroles : « Oh ! che gioia ! Che piacere ! » Les auditeurs de la première représentation, en 1791, à Vienne, firent mieux encore. Tout d’une voix ils crièrent bis et, par ordre de l’Empereur, après qu’on eut soupé, l’opéra fut repris da capo, tout entier. Les érudits nous assurent que cela n’était jamais arrivé qu’à Rome, pour une comédie de Térence.

L’auteur du Mariage secret était fils d’un maçon et d’une blanchisseuse. Il semble que son art ait tenu plutôt de l’état de sa mère : pour la légèreté, non pour l’apprêt, car aucune musique n’est moins empesée que la sienne. Dans l’ordre chronologique et dans l’ordre esthétique, sa place est entre Mozart et Rossini. C’est encore une assez bonne moyenne. Aussi bien il ne s’en faisait point accroire. On rapporte qu’un peintre l’ayant un jour assuré qu’il le préférait à Mozart : Que diriez-vous répliqua-t-il, si je vous mettais au-dessus de Raphaël ? » Au-dessous de Mozart, celui-là n’ayant à côté de lui personne, Cimarosa est tout de suite au-dessous de lui. Son parent, non pas un parent pauvre, moins riche seulement d’harmonie, d’orchestre, de mélodie même, il n’a pas la variété, la profondeur, les proportions et l’équilibre, en deux mots la divine perfection de Mozart. Au dernier acte du Mariage secret, les divers personnages de la comédie se rencontrent la nuit, un peu comme au dernier acte aussi des Noces de Figaro. Seulement un peu. Mais si l’on veut mesurer, de l’un à l’autre maître, une moindre distance, qu’on écoute, au dernier acte encore, l’air de Paolino proposant à Carolina de l’enlever « prima che in cielo spunti l’aurora. » A cette sensibilité furtive, on reconnaîtra le voisinage et comme le reflet de Mozart.

Enfin, plutôt qu’une comédie d’intrigue, il y a dans le Mariage secret une comédie de caractères, de caractères bourgeois, à la Molière. Mais il y passe parfois ce léger souffle de poésie, d’idéal,